Chapitre 7

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LALI 

Le miroir me renvoie une image plutôt flatteuse. Je m'applique pour mettre un peu de rouge ici, quelques touches de noir là. Maman dit toujours qu'on a de la chance d'avoir du maquillage. Il paraît que ça ne durera pas toujours. Tant qu'il y en a, autant en profiter, non ? Je me souris dans la glace. Il y a des objets, comme ça, qui sont précieux. L'usine n'en fabrique pas. Quand les stocks seront épuisés, il faudra faire sans. Je manipule toujours mon miroir avec d'infinies précautions. Si je le laissais tomber et qu'il éclate en morceaux, je n'aurais plus qu'à me coiffer en regardant mon reflet dans une vitre. Et encore, tant qu'il y aurait des vitres ! Je lisse ma tunique et vérifie mes cheveux. Je crois que je ne peux pas faire mieux. J'aurais aimé avoir une tenue spéciale pour accueillir Soli, mais à part mon uniforme scolaire, ma tenue de travail et ma tenue de détente, je n'ai rien à me mettre. Par contre, maman m'a prêté une chaîne qui brille autour de mon cou, j'adore. J'espère que Soli aimera. Je réfléchis à ce que je vais lui dire quand il arrivera, je m'entraîne devant la glace, je ressasse nos hypothétiques conversations. Ça fait des années que je le regarde vivre par écran interposé et voilà qu'il débarque dans ma vie pour de vrai. C'est tellement énorme. Il faut que je sois à la hauteur. Je vérifie à nouveau mes cheveux. Ils tombent bien, mais ils ne sont pas blonds comme ceux de Zia, malheureusement. Ah, Zia. Je dois vous dire que cette fille est magnifique. Bien sûr, je sais qu'elle ne sera plus là pour très longtemps (je ne m'en réjouis pas, ce serait affreux !), mais elle me fait peur. Je vois comme Soli la regarde. Ils font semblant qu'il n'y a rien entre eux, bien entendu, mais ça saute tellement aux yeux. Je sais qu'ils ne se sont jamais touchés, ça devrait m'apaiser, mais parfois, ils se parlent tous les deux juste en se regardant, sans avoir besoin d'ouvrir la bouche... C'est intense, ça me met mal à l'aise. Je voudrais tant qu'il l'oublie, qu'il me regarde moi avec ces yeux-là, qu'il me dise toutes ces choses sans avoir besoin de parler. Un jour, ça viendra, c'est ce que maman affirme. Mais si ça n'était pas le cas ? S'il ne parvenait pas à faire comme tout le monde, à occulter tranquillement le passé ? S'il continuait à penser à elle, s'il se laissait hanter par son fantôme pour toujours ? Rassurez-moi, je suis capable de la lui faire oublier, non ?






ZIA 

J-13

- On va t'enfermer dans ta chambre, la nuit, si on ne peut pas avoir confiance en toi, tu le sais ?

Je hoche la tête. Mademoiselle Hélène soupire.

- Qu'est-ce qui t'a pris ? C'est voué à l'échec ce genre de choses, tu le sais, non ?

J'acquiesce de nouveau.

Elle fait toujours ça dans un couloir ou dans la salle commune, nous sermonner. Comme ça ceux qui sont déjà devant leurs écrans peuvent suivre.

- Je ne sais pas, marmonné-je, j'ai pété un plomb après...

- Chut, chut, fait Mademoiselle Hélène.

On pourrait croire qu'elle cherche à m'apaiser, mais elle veut juste que je me taise. Parler de ce que ça m'a fait de voir cette espèce de poufiasse me voler mon SolènnDirine, ce ne serait pas très correct !

Je la laisse poursuivre. Elle me fait tout le laïus, avec les lois fondatrices, le respect des règles, et tout ce que ça apporte de sérénité, de tranquillité d'esprit et d'équilibre. Et la survie du plus grand nombre, etc, etc. Personne ne vient nous déranger, dommage, ça aurait pu la stopper dans son élan. J'en ai ma claque. Je serre les mâchoires.

Il me faut un autre plan.





SOL

J-6

Je vous ai déjà dit que je sors assez souvent de l'orphelinat avec M. Mestre, mais aujourd'hui, c'est différent. L'école de la rivière fait relâche pour mon arrivée. On m'avait prévenu, mais je ne peux m'empêcher d'avoir un mouvement de recul quand j'arrive dans la rue où Lali habite et que je découvre tous ces gosses amassés autour d'elle, qui se mettent à crier en m'apercevant de loin. M.Bubble, surveillant et homme à tout-faire, m'accompagne. Il ne me lâche pas d'une semelle. Soutien ou chaperon ? Je me demande quels sont ses ordres, exactement. Il pose sa paume à plat dans mon dos pour me pousser vers l'avant. Vers cette cohue qui avance vers moi comme une seule vague désordonnée et grouillante. En quelques secondes, les gosses m'assaillent. Il y en a de tous âges. Au final, ils ne sont pas si nombreux, une trentaine peut-être, mais ils s'agitent tant en parlant tous en même temps, qu'ils donnent l'impression d'être deux fois plus nombreux. Les questions fusent pendant qu'ils se bousculent pour me toucher. Un garçon aux cheveux crépus veut savoir si j'ai déjà visité le sas. Un autre si quelqu'un a déjà « pissé dans son froc » sur le plateau de sa dernière émission. Sa voisine de gauche lui fait les gros yeux. Une fille aux dents en avant écrase littéralement une autre gamine pour se projeter vers moi, je sens son haleine lorsqu'elle me demande si j'ai déjà embrassé Zia. Une de ses copines glousse. « Est-ce qu'il se passe des trucs dans les toilettes hors caméras ? » Un petit me tire la jambe de pantalon : « Tu te souviens de la tête de tes parents ? » Quelqu'un l'attrape par l'épaule et le tire vers l'arrière. Je reste coi. Je ne cherche même pas à m'extraire de cette masse compacte. Les questions me percutent comme autant de coups : « Tu vas te marier avec Lali ? » « T'est triste pour Zia ? « Tu vas la regarder sortir ? » Deux adultes arrivent, dispersent les gosses, en grondent quelques uns. Parler du passé, quelle impolitesse ! disent-ils. Et puis vous l'étouffez, laissez le donc respirer ! Comme si je pouvais encore respirer après ça. J'ai juste envie de faire demi-tour, de partir en courant. Et ils sont là, obligeant les enfants à s'écarter d'un pas pour continuer à déverser leurs flots d'insanités. « Tu vas épouser Lali quand Zia sera morte ? » reprend l'un d'eux avec un grand sourire. J'ai l'impression de tomber en chute libre tandis qu'ils me dévisagent.

Sept joursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant