LALI
C'est compliqué avec Soli. Je fais ce que je peux, mais je vois bien que ce qu'il me donne à voir de lui-même est juste un masque. Pourtant, je l'ai vu grandir, je l'ai regardé évoluer, jour après jour. Je le connais. Je croyais le connaître. Il pourrait quand même être naturel ! Oh, je pensais que les choses seraient plus simples. Après tout, je suis sa sauveuse, non ? Moi qui croyais que ce serait magique et facile, je crois que je vais devoir ramer pour que ça marche. Ça m'inquiète et ça m'agace. J'ai fait ma part, j'ai trouvé une solution pour le sortir de l'orphelinat. Ne devrait-il pas être reconnaissant ? Il a juste l'air de réfléchir sans cesse à ce qu'il a le droit de dire ou pas. Il a tiqué quand je lui ai parlé de notre voisin d'en face. Je vous avoue que je ne comprends pas. M. Smet a donné à la Cita ce qu'elle attendait de lui (beaucoup de travail, d'abnégation), et il a eu en retour une vie agréable, une tranquillité vraiment appréciable, il a élevé un fils et il a vécu. Je ne comprends pas ce qui gêne Soli là-dedans. Le contrat est clair pourtant, c'est donnant-donnant. La Cita nous donne la vie, elle nous héberge, nous protège, nous garde en bonne santé, et en retour nous travaillons pour lui permettre de prospérer. La Cita ne donne rien gratuitement, tout le monde le sait, même un enfant de deux ans sait ça. Soli n'est-il pas parmi les mieux placés pour s'en rendre compte ? Je sens une espèce de révolte en lui, qu'il passe son temps à dissimuler. Je n'avais pas décelé cet aspect de sa personnalité avant, est-ce nouveau ou est-ce que, tout simplement, ça ne se voit pas à l'écran ? En tous cas, ça me gêne, je n'arrive pas à saisir les raisons de sa colère. On a tellement de chance de vivre, on fait partie des incroyables privilégiés, des survivants. Tout est mort dehors, et nous, nous vivons à l'intérieur, et même si ce n'est pas pour très longtemps, je crois qu'on doit déjà être emplis de gratitude pour les années que la Cita nous donne. Sans la Cita, nous ne serions rien.
SOL
J-5
Les amis de Lali s'appellent Svea, Lance, Niels et Eleonore. Ils parlent de faire une virée dans « la grotte » à la nuit tombée. Je ne sais pas ce qu'est la grotte, mais je ne pose pas de question, histoire de ne pas paraître ignare. Lali est toute contente, si contente qu'elle passe son avant-bras autour du mien spontanément en sautillant : « Trop bonne idée ! Soli va adorer ! » Je lui souris, le plus gentiment possible. Toutes mes pensées vont vers Zia. J'ai du mal à faire le vide pour donner l'impression que je suis enthousiaste, mais je crois que je donne le change. Malgré cela, Lance n'a pas l'air de m'apprécier beaucoup.
- Tu vas savoir te débarrasser de ton chaperon ? me balance-t-il en jetant un œil mauvais vers M.Bubble, qui est adossé sur un mur un peu plus loin et dont toute l'attention est concentrée sur un petit écran qu'il a sans doute sorti de sa poche.
- Ça devrait aller, fais-je sans pour autant savoir ce que je vais bien pouvoir dire à mon garde du corps pour qu'il me laisse ma soirée.
- Ramène-le, sinon, roucoule Svea d'une voix sensuelle, ce qui fait rigoler Lali et Eleonore.
Lali se met sur les pointes de pieds et chuchote dans mon oreille. ça fait glousser les deux autres filles.
- Mon père dira que tu manges avec nous, t'en fais pas.
Si je mange chez elle, je vais rater les quelques minutes dans la salle commune avant le coucher. Je vais rater Zia.
- Merci, fais-je, c'est cool.
Lali sourit et se trémousse.
- Vous avez encore du rouge à lèvres, vous ? demande-t-elle avidement à ses deux copines.
Cette question est manifestement cruciale. Svea et Eleonore prennent un air très sérieux pour y réfléchir et Lali en perd son sourire. Le visage de Zia apparaît à nouveau dans ma tête alors que j'observe Lali, qui a quelque chose d'attendrissant, à s'inquiéter pour son maquillage alors que le sas attend sa prochaine victime et que le vieux voisin s'apprête peut-être à gober son Antafarax. Je ne crois pas que Lali soit stupide, je crois que c'est un pur produit de la Cita. L'image de Zia s'efface tout doucement. Je pourrais me laisser glisser là-dedans. Dans cette placide acceptation. Après tout, c'est ce que j'ai fait jusqu'à maintenant. Pourquoi les choses différent-elles désormais ? Qu'est-ce qui m'a transformé comme ça ? Je crois, peut-être, que ce qui bouscule en moi tous mes repères bien ancrés, c'est le fait d'avoir le choix. J'ai le choix maintenant. Je peux accepter les règles de la Cita, non plus simplement les subir mais y adhérer pleinement. Donner mon consentement, mon autorisation. Je peux laisser Zia sortir seule, la regarder s'éloigner. L'oublier, comme j'ai oublié ceux qui sont sortis avant elle. Je peux décider de me fondre dans le système. Je peux choisir de vivre. Et il se trouve que je n'ai aucune envie de mourir.
ZIA
J-12
SolènnDirine n'est pas rentré ce soir. Ça m'a achevée.
Je ne peux que l'imaginer avec elle, à s'installer tranquillement dans sa nouvelle vie comme on s'assied dans un fauteuil, en se demandant d'abord si ce sera confortable et en se laissant rapidement aller à se prélasser en souriant. Je passe sans arrêt ma main sur mon ventre, sur mon thorax, comme si je vérifiais que le trou béant qui se creuse en moi n'est pas encore visible de l'extérieur. Mademoiselle Hélène m'a reproché aujourd'hui d'être trop silencieuse. Sachant qu'elle passe son temps à nous dire de nous taire, c'est le comble. Elle est venue dans la salle de bain ce soir, elle m'avait rapporté un peu de fard à joues. Elle dit que j'ai l'air d'un fantôme et que je dois me préoccuper davantage de l'image que je renvoie aux caméras. Si elle savait comme je m'en fous. Je ris (jaune) en y pensant : être adoptée, passer le reste de ma vie dans la Cita à regarder Lali et SolènnDirine vieillir ensemble, main dans la main. Impossible. Allez, je sais ce que vous pensez, il a raison de faire tout ce qu'il faut pour survivre. Et puis elle est jolie, il aurait vraiment tort de se priver. J'aurais fait la même chose si les rôles avaient été inversés, non ?
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Sept jours
General FictionJ-14 Il ne lui reste que 14 jours. Bientôt, il devra sortir de la Cita, quitter sa bulle protectrice. Dehors, l'air est vicié, impossible à respirer. Il ne peut pas rester, il ne veut surtout pas sortir. Sortir, c'est mourir. J-8 Plus que 8 jours. N...