Chapitre 24

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SOL

Jour J
Je compte les secondes. Après être sorti, je n'ai pensé qu'à sauvegarder les apparences. Pour me donner une chance. Je n'arrivais plus à me rappeler combien de temps on avait regardé Jasmine évoluer dehors pour son jour J. Une seconde ? Une éternité ? La chose dont je me souvenais, c'était que désormais, la caméra du sas pouvait pivoter. J'ai été surpris de constater que mes poumons ne se calcinaient pas comme prévu, que ma peau ne se cloquait pas, que mes yeux ne fondaient pas. J'ai pris garde à tomber comme une poupée de chiffon, pas trop loin, pas trop près. La bonne distance. Comme si j'avais pris l'Antafarax pour de vrai. J'ai enfoui mon nez dans le tissu de ma manche, pour éviter de respirer trop de cette merde qui flotte partout. J'ai attendu. J'ai réfléchi. Essayer de partir à la nuit tombée, ça semblait la seule option. Voir venir. Attendre et voir venir. Je ne sais pas combien de temps mon corps supportera l'air du dehors, alors pas de plan sur la comète. Juste un pied devant l'autre et on verra. Je ne sais pas ce que j'avais en tête. Sortir était stupide. J'aurais dû rester, j'aurais au moins eu des chances de faire quelque chose pour Zia. D'ici, que puis-je faire ? Rien. A part lui montrer qu'elle est importante pour moi, qu'elle est ce qu'il y a de plus important pour moi. C'est déjà ça. Qu'elle ne sorte pas seule, la semaine prochaine, qu'elle sache qu'il y avait quelqu'un pour qui elle comptait. Tu compteras toujours, Zia, même si on se revoit jamais plus, il faut que tu saches que tu comptes. C'est ce que je me disais quand j'ai entendu la porte du sas s'ouvrir. Encore. Je n'ai pas pu me retourner pour voir ce qui se passait. Les morts ne se retournent pas. Mon sang s'est glacé, j'ai cru qu'on m'avait percé à jour. Qu'ils venaient me récupérer, m'obliger à avaler la pilule bleue avant de me jeter de nouveau dehors.
Ce sont les deux gars qui reviennent, j'ai pensé. Savent-ils qu'ils ne mourront pas tout de suite s'ils me rejoignent ou se prennent-ils pour un commando suicide ? Est-ce que respirer cette merde les tuera de toutes façons ou s'en sortiront-ils s'ils repartent à toute vitesse dans le sas après m'avoir mis de force l'Antafarax dans le bec ?
Le dehors m'a-t-il déjà tué ?
Cesse de divaguer. Jamais personne n'est sorti hors du sas, excepté les orphelins. Ils ne peuvent pas venir. C'est juste impossible.
Ils ne sont pas venus. C'est Zia qui s'est approchée de moi. Zia.
Je n'ai pas osé bouger. J'aurais dû. Je le comprends maintenant, mais c'est trop tard. J'avais une fenêtre, toute petite, pour lui dire quelque chose. Lui dire que j'étais vivant. Je l'ai laissé filer, et c'est trop tard. Zia s'est effondrée comme un poids mort. Si le dehors ne me tue pas, l'insoutenable évidence le fera : elle a pris l'Antafarax.
Merde, merde, merde. Elle l'a pris.
Les secondes s'égrènent avec une lenteur atroce. Je compte. Une fois tombée au sol, Zia n'a plus d'intérêt pour le public. Ce serait même indécent de continuer à la regarder. Une sorte de plaisir sadique que la Cita n'autoriserait pas. On joue avec la vie des gens seulement parce qu'on y est obligés, pas par cruauté perverse. Elle l'a pris. Une seconde. Deux. Trois. J'attends trop. Je vais la perdre. Mais si je bouge avant que l'écran n'ait viré au noir ? Six. Sept. Je suis au supplice. Je sens le souffle de Zia dans mon cou. Son souffle qui va s'éteindre si je n'agis pas tout de suite. Dix. Ça ira. Il faut que ça aille. Je bouge tout doucement, malgré tout. Même si aucun regard n'est plus rivé sur nous, j'imagine que quelque part, quelqu'un a devant lui un tas d'écrans à surveiller, parmi lesquels celui qui renvoie les images filmées par la caméra du sas. Discrétion donc. Sous couvert de ma veste et en prenant garde à rester à plat ventre, je défais le bandage qui emprisonne mon pouce. Ils ont pensé à mes poches, mais pas à cette cachette-là, fort heureusement. Un fin morceau d'écorce en tombe, directement dans ma main. Je remercie mon côté parano en soupesant le remède qui a atterri juste à côté de la pilule d'Antafarax, que j'ai pris soin de recracher le plus vite possible en sortant du sas. Vous auriez dû me demander de tirer la langue, chère Cita. Derrière moi, je crois entendre la Cita rigoler. Elle se moque de moi. Elle a de quoi. Zia s'est endormie, d'un sommeil trop profond, la bouche entrouverte. Je bouge légèrement, espérant de tout cœur que mes mouvements passeront inaperçus dans la brume qui s'obscurcit tranquillement à mesure que le soir tombe. Je place le morceau d'écorce dans sa bouche. Elle bouge légèrement les lèvres et toussote dans son sommeil. Je voudrais la secouer, la forcer à mâcher, mais c'est risqué. Si quelqu'un nous voyait. Je me décide à prier. Je crois que c'est à M. Mestre que j'adresse mes prières. Le fait qu'il puisse avoir tort ne m'a même pas effleuré l'esprit jusqu'à maintenant. Et s'il s'était trompé ? Si cette écorce de pommier pourri n'avait absolument aucun effet ? Je fais rouler ma pilule bleue entre mes doigts en haranguant M.Mestre en silence. Ça doit marcher ! Vous aviez dit que ça marcherait ! Rien ne se passe. Allez, Zia. Tu ne peux pas me faire ça.
- Zia, je chuchote dans son oreille. Reviens. Zia. Zia !
Au loin, la Cita sourit. Elle se repaît.






ZIA

J-7
Je flotte. Je pars. Au loin, quelqu'un chuchote mon nom. Ce quelqu'un a la voix de SolènnDirine. Merveilleux Antafarax, qui évite les souffrances inutiles. J'aime l'Antafarax. J'aime la poussière douce qui me sert de matelas. J'aime le noir qui m'enveloppe et dans lequel je vais pouvoir me fondre et disparaître. On dirait que SolènnDirine m'appelle. Il faut couper le cordon maintenant, celui qui m'unit à ce corps sans vie. Je le laisse bien volontiers. Je n'en ai plus besoin.






SOL

Jour J
- Zia !
Rien. Rien ne se passe. Est-ce que les infos de M. Mestre sont fausses ou Zia se laisse-t-elle sombrer ? Tout mon corps est contracté, je me concentre sur elle, guettant le moindre mouvement, mais rien.
- Zia ! Putain, Zia ! Reviens !
Allez, Zia. Pour nous. 

Sept joursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant