II - 20. Le baron

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8 décembre 2018 – 1900 mots


Personne n'a vraiment cerné le baron Jassois et son rôle dans la guerre wostoro-fallnirienne. Moi y compris. Mais son histoire, à l'image de sa personnalité, n'a cessé d'alimenter les passions. A-t-il œuvré pour ou contre les intérêts du président Gérald ? Qu'est-il devenu après la défaite ? Est-il mort ? Disparu ?

Bill Velt, Mémoires de guerre


Rema, capitale de Fallnir, 3 octobre 2010


Les troupes fallniriennes avaient passé la frontière le 25 août 2010. Le 3 octobre, un mois plus tard, elles étaient déjà en fuite.

Anna von Gottsburg, la rusée chancelière wostore, avait attendu que les anges déchus se désintéressent du conflit. Elle avait ensuite mené la contre-attaque d'une main de maître. Tant que Fallnir avançait vers la capitale wostore, il s'imaginait trouver devant lui des dépôts de vivre, des logements, remettre sur pied des voies de communication. Les wostores n'avaient laissé derrière eux que des cendres et, de retour sur leurs terres, ils en chassaient des fallniriens affamés et désorganisés.

Le Rematin avait beau jeu de représenter von Gottsburg sous les traits d'une araignée, que le bien-aimé président Antoine Gérald s'apprêtait à écraser du pied. Dans la pratique, rien n'indiquait que les wostores ne franchiraient pas très bientôt la frontière. Le baron Jassois se trouvait aux prises avec l'incompétence de son armée, la paralysie de ses troupes, la sottise de son état-major. Depuis le début de la contre-attaque, une semaine plus tôt, il n'avait pas même obtenu un entretien avec le président. Ce dernier passait son temps à la Section 7, son laboratoire de recherches, où, promettait-il, les armes de la victoire étaient en cours d'assemblage.

« Je n'ai pas besoin des armes de la victoire, s'exclama le baron. Je veux des canons et des fusils ! La moitié de notre matériel tombe aux mains des Wostores.

— Faites votre travail et tout ira bien » chuinta Aubert Bellophon.

Le ministre de la communication gouvernementale venait sans cesse visiter Jassois dans son hôtel particulier de Rema, transportant en personne des messages du président qui se résumaient à : j'ai confiance en vous, faites votre travail et tout ira bien.

« Je ne peux pas faire mon travail si on ne m'en donne pas les moyens. La dernière fois que j'ai essayé de renvoyer un général incompétent, le président a dit : non, pas lui, il a de bonnes relations, virez quelqu'un d'autre. Ces crétins s'attendaient à une campagne facile. Vous, Aubert, vous les avez abreuvés de billevesées, et voici le résultat : au premier coup de feu, ils s'enfuient tels des moineaux. »

Aubert Bellophon sourit. C'était un homme d'une décadence détestable, dont tous les vices semblaient inscrits au front comme un tableau de chasse. Il se prenait sans cesse les pieds dans les tapis, car l'hôtel lui-même ne tolérait pas sa présence, une insulte faite au bon goût de la famille Jassois.

« N'oubliez pas, baron, qu'avec cette communication gouvernementale, j'assois votre légitimité et j'améliore votre pouvoir. L'armée vous obéit encore : tout n'est pas perdu.

— Le nombre des prisonniers croît et rien n'indique que nos divisions rentreront de Wostorie.

— Le président vous fait confiance. Vous êtes l'un des rares. Je le comprends moi-même : nombreux sont les agents de l'étranger, wostores et salvanes, que nous avons dû débusquer ces derniers temps dans notre administration.

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant