I - 13. Vers l'Orkanie

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4 novembre 2018 – 2400 mots


J'ai connu quelques médiateurs kaldariens sur Daln. Ils savaient que leur religion périclitait et finirait par disparaître, mais cela ne diminuait pas leur ferveur. L'une me confia même qu'elle pensait que, même si le kaldarisme cessait, la sagesse lui survivrait. Ces graines continueraient d'être portées par le vent et de germer au hasard.

Adrian von Zögarn, Histoire de Daln


Entre Fallnir et l'Orkanie, Février 2010


Lors de son précédent voyage, Armand avait appris à se débrouiller seul, sans argent et sans vivres. À Fallnir, dans les bons quartiers de Rema, c'était toujours possible pour qui acceptait de se lever tôt. En vendant des journaux, à dix pour cent de commission, deux heures de travail achetaient un repas ; les deux suivantes payaient le silence du contrôleur qui détournerait le regard, lorsqu'Armand monterait à l'arrière d'un wagon de fret rempli de sacs de courrier.

Embarquer pour l'autre continent demandait une plus longue préparation. Mais à peine arrivé dans cette ville côtière, imprégnée d'embruns et de frénésie portuaire, Armand eut l'impression de la connaître comme s'il y avait toujours vécu. Il écuma les poissonneries où les pêcheurs écoulaient chaque jour leur marchandise, rôda près des conserveries, tenta même de s'approcher d'une usine de colle à bois. Il ne tenait pas à rester plus d'un mois dans ce Fallnir qu'il ne reconnaissait plus. Un mois ne suffirait pas pour se payer un aller vers Yora – sauf à crédit.

Des nuits durant, il traîna dans les bars où les marins de tous horizons vidaient leurs poches et leur sac d'histoires de mer. Les bribes de conversations attrapées au vol, tandis qu'il apportait des bocks de bière, lui apprirent tout de la situation de Daln. De bonnes opinions se formaient dans son sillage. Il correspondait au type du jeune travailleur solide, qui en redemande toujours ; ce garçon maigrelet mais bien portant qui change de métier tous les six mois. Les marins de métier se flattaient de reconnaître en lui ce qu'ils avaient pu être dix, vingt ans auparavant.

Il apprit que des annonces d'embauche existaient bien, car on manquait toujours de personnel sur les paquebots, mais avec une demande dix fois supérieure à l'offre, elles n'étaient jamais diffusées. Les futurs employés remontaient à la source et jouaient de leurs relations. Armand s'en fit donc quelques-unes. En bon serveur, il paya des bières lui-même, puis glissa qu'il cherchait un travail. L'investissement paya. Il embarqua comme homme à tout faire sur l'Atlante.

Il régnait une grande agitation sur les passerelles. Parmi les passagers, il n'était pas question de fuir la dictature de Gérald, plutôt de faire fortune en Orkanie. Ce sujet de conversation inépuisable réunissait aussi bien les personnes déjà aisées, dont les bagages les précédaient aux mains d'un commis en gants blancs, qui discouraient d'entreprises à faire fructifier, de rentabilité, de gains en bourse considérables, que les rêveurs sans le sou, les mains dans les poches mais les yeux vifs, qui parlaient de créer une grande plantation de blé et de canne à sucre, ou à défaut, d'aller dans le cinéma, comme écrivain ou acteur à succès. Seule certitude commune : la fortune les attendait là-bas, comme une héroïne de conte se languissant de son prince charmant.

L'Atlante était un paquebot moderne, un moteur à pétrole, doublé de voiles pour en réduire la consommation, en raison des quotas imposés par les lois d'Eden. C'est l'avenir de l'industrie, maugréait-on parmi les chefs d'entreprise en devenir. Je ne comprends pas, pourquoi toutes ces recherches sur la biomasse, alors que l'extraction du pétrole est nettement moins chère. On étouffe sous ces contraintes iniques des industries qui produisent de la richesse et de l'emploi ! Dans ces milieux, il était très à la mode de critiquer l'action des anges.

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant