IV - 3. La peste verte

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La peste verte. La mort silencieuse. Le poignard des sous-bois. Les Dalniens ont toujours eu une grande imagination pour qualifier la verlame, sans conteste la plante contemporaine la plus dangereuse de tous les mondes que j'ai connus (à l'exception des plantes carnivores les plus gloutonnes des marécages de Ki).

La légende dit qu'après avoir assassiné son cousin et amant d'un soir, l'empereur Vilna, la vampire Alma Treskoff, qui allait devenir l'impératrice rouge, but son sang jusqu'à la dernière goutte. Ladite goutte perla de sa lèvre, tomba au sol et prit racine pour donner naissance au mal vert.

La science donne une explication plus prosaïque. Il y a cent millions d'années vivaient sur Daln des mastodontes, semblables aux dinosaures terriens : écosystèmes stables et abondance de nourriture végétale favorisèrent leur développement. L'ancêtre de la verlame, une fougère géante, fournissait toute une chaîne alimentaire. Mais la plante fut lassée de servir de fourrage à la moitié de la planète. Aussi devint-elle plus petite, plus robuste et notoirement toxique.

La verlame ne dépasse pas dix centimètres de haut. Ses petites feuilles irrégulières sont parsemées de piquants presque invisibles qui traversent la chair jusqu'à l'os, non sans enduire la plaie d'un poison mortel. Il est difficile de circonvenir l'action de cette toxine. Ses spores allergisants provoquent des irritations des bronches et des muqueuses semblables à celle de quelqu'un qui habiterait une cheminée d'usine. À forte dose ils sont mortels eux aussi. Quant au suc de verlame, il s'agit d'une neurotoxine à retardement. Quand le patient arrive déjà perclus de fièvre et de douleurs, il ne se souvient pas avoir marché sur une verlame avec une chaussure trouée.

Pour l'heure, la verlame se cantonne à l'archipel zélane, mais c'est une catastrophe écologique en puissance. Je travaille à des solutions.

Adrian von Zögarn, Notes sur l'alchimie


Fila, Sept cent lieues au Sud de Yora, 17 mars 2011

Vladimir était un habitué des rêves dans lesquels ses dents se déchaussaient ou ses cheveux tombaient.

Mais cet assemblage de causes extérieurs, très doué pour l'ironie, que l'on nomme le Destin, avait décidé que songe et réalité devaient se confondre.

Il rêvait maintenant de lui et de Leam. Dans son rêve, son corps était intact. Il marchait, il courait, il dansait avec son épouse dans les plus grands bals de Twinska.

Au réveil, il découvrirait que ses plaies avaient encore saigné, que la cicatrice se rouvrait. Il se désinfecterait à l'alcool et remettrait sa prothèse indispensable. Quant à Leam, elle se trouvait quelque part ; cette certitude définissait son existence et le maintenait à flot ; mais où et dans quel état, impossible de le dire. Peut-être avait-elle écopé du même sort. Peut-être pire encore, car parmi tous les blessés que Cassandra et Kilan avaient réussi à sauver, il estimait ne pas être le plus à plaindre.

Alors venaient d'autres rêves, ceux dans lesquels il retrouvait Leam brisée, de corps comme d'esprit. Son visage s'effritait comme de la porcelaine ; ses yeux regardaient dans le vague, en direction de mondes perdus. Il lui parlait, mais elle n'entendrait jamais plus sa voix.

« Tu saignes encore » remarqua Cassandra.

Elle conduisait le premier camion ; John le second. Les namanes, trop concentrés sur leur offensive majeure, leur dernière ligne droite, les avaient laissés partir sans la moindre surveillance. Que pouvaient-ils faire d'autre que rejoindre Fila en urgence, s'installer au plus vite dans des abris en dur ? Des colonnes de prisonniers de la Deuxième Armée suivaient à pied, sous la surveillance lacunaire d'une poignée de tire-au-flancs et de pantouflards de l'armée conquérante.

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant