I - 2. Astyane

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20 octobre 2018 – 2400 mots

J'ai connu cette ange dans les derniers temps de la guerre. Nous nous sommes à peine croisés. Je ne crois pas qu'on eût pu la définir par son caractère, par ses convictions : ces métriques me paraissent futiles. Elle n'avait pas d'autre conviction que celle de bien faire, pas d'autre caractère que ce précepte du kaldarisme qui dit : ne cause pas de souffrance. Ce qui m'a frappé le plus chez elle, c'était l'immense responsabilité qui pesait sur ses épaules. J'étais pourtant le chef démocratiquement élu de la plus grande puissance économique dalnienne ; je me sentais petit.

Bill Velt, Mémoires de guerre


Rema, Janvier 2010

Milla Revitch se rendait du Sud de Fallnir à la Section 7 de Rema, en toute discrétion. Personne ne l'accompagnait, ni un officier de police, ni un garde du corps.

Astyane la suivit en localisant son esprit à la manière d'un écho radar. Lorsque Milla descendit les marches d'une station du métropolitain, elle prit un autre accès. Elle monta dans le même train. Milla descendit encore, fit un tour, prit un autre train. L'avait-elle repérée ? Voulait-elle la semer ? À cette distance, les pensées devenaient floues.

Le temps passant, elle s'inquiéta pour Samaël. L'ange gardien prenait très au sérieux son stage de terrain et il la formait avec application. Au contraire des trois autres races de Daln, les anges ne montraient que peu de signes de vieillissement ; c'était toute une science que de deviner l'âge au regard, au parler, aux manières. À peine descendue sur la planète, Astyane avait vu en Samaël un ange gardien déjà accompli, au métier incrusté dans la peau.

Devait-elle abandonner la filature maintenant et rentrer faire un rapport ? Fallait-il confronter Revitch et la neurolire, afin d'en apprendre un maximum sur les activités illégales du gouvernement fallnirien ?

La moitié des anges d'Eden était appelée à descendre sur la surface de Daln et à interagir avec sa population. Ces cinquante mille anges gardiens, diplomates, conseillers, recevaient un enseignement dispensé par les archanges de la cité céleste. On leur apprenait tout de la planète et de son histoire ; on leur montrait tout sans rien cacher, sans rien occulter, sans partialité aucune. Car les anges, depuis mille ans, avaient étudié Daln en détail. Cette ville en orbite, leur tour d'ivoire, le phare d'Unum, était la retraite paisible d'où portait leur enseignement d'entente et de paix.

Astyane savait-elle vraiment tout de Fallnir ? Cinquième économie du monde, le pays souffrait d'un complexe d'infériorité inscrit dans son inconscient collectif, une corde sur laquelle ses hommes politiques tiraient à qui mieux mieux, excitant son ressentiment nationaliste. Telle était l'analyse des anges. Ils la prétendaient aussi juste que l'œil d'Unum ; mais Astyane, troisième de sa promotion, devinait que le savoir d'Eden souffrait de biais, amplifiés par les huit cent lieues de distance entre la cité et la planète.

Nous ne sommes pas dalniens, telle était la vérité que leur enseignement occultait toujours. La moitié des anges était certes détachée sur Daln, en poste sur la planète, au titre d'accords bilatéraux. En pratique, Eden centralisait le pouvoir et l'influence. Aussi pouvait-on presque comprendre que Fallnir, tout comme son voisin Wostore, n'accueille des anges gardiens qu'au compte-gouttes.

Milla Revitch accéléra le pas. Un tramway coupa le chemin d'Astyane et déversa une foule de gens. En se frayant un chemin au contact des humains, l'aura de secret qui la protégeait se fendilla. Reconnue comme ange, elle entendit des pensées hostiles la poursuivre comme une nuée d'insectes menaçants.

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant