I - 9. Le retour du fils oublié (2)

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27 octobre 2018 – 1600 mots


Il advint que la sage, en chemin sur une longue route, s'arrêta dans une maison isolée, à l'ombre d'un moulin à vent.

Le couple de meuniers qui tenait cette demeure s'était enrichi grâce à la multiplication des fermes environnantes. Ils reçurent la sage comme une reine. Ils invitèrent nombre d'inconnus qui passaient par là pour multiplier les réjouissances, prirent de leurs meilleures denrées, offrirent des cadeaux.

La fête dura deux jours et trois nuits. Au petit matin, les invités dormaient encore comme des souches lorsque la sage emballa ses affaires. Les meuniers s'étaient levés pour le travail. Elle qui n'avait jamais eu meilleur accueil, sur le pas de leur porte, dit qu'ils avaient été des hôtes exceptionnels, qu'elle ne voulait pas les offenser, mais qu'elle se demandait pourquoi on avait fait telle bombance pour son passage.

Le couple, qui n'avait cessé de lui sourire depuis leur premier échange de paroles, s'ouvrit alors à elle ; et ce sourire se teinta d'une réalité plus cruelle.

Notre fils est parti il y a sept ans, dirent-ils. Il n'est jamais revenu. Mais chaque fois que quelqu'un, sur cette route, arrive de loin, nous l'accueillons comme nous l'accueillerions s'il venait à frapper à notre porte de nouveau...

Livre des Sages


Rema, capitale de Fallnir – Janvier 2010


« Déjà rentré ? » soupira monsieur Gillian qui, enfoncé dans un fauteuil, lisait un journal en fumant la pipe.

Les Gillian et les Nilaire s'opposaient en culture, à défaut de la politique, en laquelle ils se rejoignaient comme un troupeau de basse-cour : Gérald était laid, certes, mais il avait la grandeur de Fallnir à cœur, au nom de laquelle on l'autorisait à tout en souriant de ravissement. Les Gillian étaient modernistes, les Nilaire passéistes ; les Gillian étaient cinéma, les Nilaire théâtre. Malgré ces oppositions d'opérette, aussi ridicules qu'une altercation de valets dans un Molière, ils se rejoignaient sur l'essentiel : en voulant se rendre appréciables, ils se faisaient détestables, comme une ancienne actrice qui s'illusionne encore de sa beauté et qui, gavée de maraboutages et tartinée d'onguents, anéantit ce qu'il lui en reste pour ressembler à un poisson mort.

Monsieur Gillian s'était mis à fumer non par goût, car le tabac lui encrassait déjà les bronches, mais par image. De même ne lisait-il le journal pas par intérêt, mais pour avoir quelque chose à discuter. Le monde ne souffrait pas que ses membres soient peu informés de l'actualité, dont il se faisait une caisse de résonance. Chaque club avait son journal et ses opinions politiques. Pour suivre le banc de poissons auquel il appartenait, Monsieur Gillian se plongeait dans le Rematin, l'un des moins éthiques de tous les quotidiens, spécialisé dans les affaires de mœurs, les faits divers et le commentaire politique.

Au nom de la vérité, des équipes journalistiques survoltées s'élançaient sur toute nouvelle affaire comme une meute de chiens de chasse. Les suspicions, d'abord en vol dispersé, se montaient en épingle ; on prenait en filature, on calomniait dans de vastes éditoriaux à double colonne, on investiguait sous couverture, on s'introduisait par effraction ; et lorsque la justice disait non, on disait non à la justice, qui empêchait à la presse de faire son travail, car on n'avait pas le temps de s'encombrer de légalité, la vérité n'attendrait pas !

La fin et les moyens, aurait remarqué Armand, s'il avait pu parler avec le Chancelier Pierre. Mais Armand ne connaissait par Pierre et il ne savait pas même qu'Eden était dirigée par une Chancellerie. Aucun dalnien ne se représentait vraiment la cité des anges.

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant