II - 9. Berevitch

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28 décembre 2018 – 1700 mots


Aucun pèlerinage kaldarien ne peut ressembler à un autre, car leur point d'arrivée dépend du point de départ. Autrement dit, chacun a un lieu auquel s'en retourner. Comme partout dans le kaldarisme, la religion du dieu absent, ce n'est pas Kaldar que l'on recherche, mais la vérité sur soi-même.

Adrian von Zögarn, Le kaldarisme


Twinska, 25 août 2010


Le jour même de l'assaut donné par Fallnir sur la frontière wostore, le général Viktor faisait une tournée d'inspection à la caserne Nord. Pour Vladimir, cela ne changeait pas grand-chose. Dans son bureau au rez-de-chaussée, il classait les dossiers des nouvelles recrues.

Le général s'était imaginé passer incognito, mais on reconnaissait entre mille ce grand escogriffe en vareuse kaki, casquette vissée sur la tête. Les soldats plaisantaient en disant que, lors de son entrée dans la garde nationale en tant qu'officier, le médecin souhaitait le réformer car il avait découvert une malformation capitale : il ne savait pas sourire. Impossible donc de s'acquitter de la diplomatie nécessaire au jeu des états-majors !

On disait aussi que les vampires affectés à ses ordres souriaient fort peu eux aussi.

Levant la tête, Vladimir aperçut la cour noire de monde. Le général Viktor émergeait de la forêt de têtes comme un arbre solitaire. Il observait quelque chose au centre ; ce devait être Leam qui donnait ses cours. Le jeune brigadier arqua le cou pour mieux voir. Son mouvement fit chuter une pile de dossiers et de stylos. Il n'eut que le temps d'entrapercevoir Leam qui fendait la foule en criant la pause, se dirigeant vers le bâtiment. Dans son sillage suivait un groupe de récents volontaires. Le général Viktor, qu'il reconnût ou non la vampire croisée lors d'une nuit de bal, le jour de la chute d'Eden, hocha la tête d'un air satisfait.

« Vladimir Kerckhoffs ! C'est bien toi ! »

Le vampire enfonça plus qu'il ne poussa la porte de son bureau, se jeta sur Vladimir et lui donna l'accolade.

« Tu te souviens... ? À l'instruction ? »

De visage, certes, mais pas de nom. Vladimir reconnut surtout les épaulettes qui faisaient de l'arrivant un lieutenant.

« Tu devineras jamais, mon vieux : je suis aide de camp du général Viktor en personne. Et toi, alors ? Pas bougé de ta caserne ?

— J'ai moins bien réussi que toi, on dirait.

— Oh, ça. »

Vladimir l'avait connu plus réservé, moins nerveux. Le vampire ouvrit la fenêtre en grand et alluma une cigarette, dont l'odeur lui souleva immédiatement l'estomac.

« Ça ce n'est rien. J'ai eu de la chance, des bons contacts. Les grades pleuvent en ce moment dans la garde nationale. On manque tellement de tout que j'ai vu des sergents comme toi promus capitaine en une journée.

— Eh, Berevitch, dit un soldat en passant, je crois que ta pause se termine déjà. Le spectacle est fini pour ton patron.

— Ça va, ça va, retourne passer la serpillière et arrête de m'appeler Berevitch. »

Il jeta son mégot par la fenêtre, sans considération pour le commis qui devrait le ramasser dix minutes plus tard.

« Mince, elle est partie, la fille qui était dehors. Lam, c'est ça ? Je me suis renseigné, Vlad, mais personne n'a réussi à me dire si vous étiez ensemble ou non. Ce n'est pas contre toi, mon vieux, mais si tu pouvais me répondre franchement. Ou alors, ne dis rien. Saine compétition. »

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant