IV - 8. Le déchu

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1er janvier 2019 – 2000 mots

« Un tel pouvoir ne devrait pas échoir aux mains des hommes : ils ne savent pas quoi en faire. Seul est digne quelqu'un qui sait ce qu'est réellement le pouvoir. Qui peut prétendre à l'immortalité. »


Yora, capitale de l'Orkanie fédérale, 20 mars 2011


Samaël ouvrit l'espace dans le parc qui ceignait le Quadrant. Des armes furent pointées vers lui. Il balaya leurs propriétaires comme des fétus de paille.

Erlena le suivait toujours, mutique, l'esprit calme comme un lac d'eau claire. Il aimait qu'elle ne discute pas ses décisions, qu'elle ne revienne pas sur ses actions.

Ils marchèrent jusqu'à l'entrée, un escalier de marbre suivi d'une lourde porte blindée.

« Cela me rappelle la Chancellerie d'Eden, murmura Samaël, lorsque je suis venu tuer le titange. »

Ce crime que l'atman avait inventé pour lui, il s'imaginait maintenant en être le véritable auteur : Samaël jouait son rôle de dieu et ignorait sa servitude vis-à-vis du pouvoir infini placé entre ses mains.

Ils traversèrent chaque porte ; le bois et le métal tombaient en poussière devant eux. Samaël se préparait à une grande déception, car il savait que, contrairement au titange Pierre, le président de l'Orkanie ne lui promettait aucun combat. Il arrêterait son cœur d'un claquement de doigts. Or, au puissant, il n'est rien de plus frustrant que de ne pas pouvoir faire usage de son pouvoir.

Des gardes se précipitaient à leur encontre selon un schéma immuable, comme un protocole réservé aux invités de marque. Ils couraient dans un couloir attenant, criaient quelque interdiction, puis déversaient une volée de balles dans la direction des deux anges. Enfin, lorsque le premier passait la tête pour voir, Samaël les renvoyait au néant.

« Toi qui a levé la main sur ton dieu ; ton dieu te condamne. Fais pénitence de ta faute. »

Samaël arrachait ces âmes de leur corps, mais elles demeuraient avec lui.

J'ai créé l'enfer, se rappela-t-il.

Il se constituait une armée de pénitents, des ombres plongées dans son univers personnel, où il pourrait puiser lorsqu'il aurait à affronter d'autres dieux. Ces mortels qui le défiaient serviraient ses rêves d'empires. Cette armée le mènerait sur les autres mondes que réclamait Atman.

« Cela est bien, dit-il à Erlena sans lui expliquer le fond de sa pensée, tu ne trouves pas ?

— Très bien, confirma-t-elle d'une voix désincarnée.

— Regarde, voici la porte du bureau du président. »

Samaël croisa les bras.

« Des millions d'humains ont vénéré cette porte, d'autres en ont eu peur, très peu l'ont traversée. Cette porte incarne l'homme qui se trouve de l'autre côté ; cet homme porte un pouvoir qu'ils ont peine à se représenter. Un tel pouvoir ne devrait pas échoir aux mains des hommes : ils ne savent pas quoi en faire. Seul est digne quelqu'un qui sait ce qu'est réellement le pouvoir. Qui peut prétendre à l'immortalité. »

Il déplia le bras d'un geste négligent ; la porte se défit en millions de copeaux de bois. Le bureau de Bill Velt leur apparut dans toute sa sophistication, de la bibliothèque présidentielle au fauteuil présidentiel. L'homme se tenait debout, adossé à la vitre qui ouvrait son lieu de travail sur la baie de Yora.

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant