III - 8. Kilan (2)

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30 décembre – 1500 mots


Mains sur les hanches, menton relevé, l'ange était un peu plus haute encore que Kilan. Elle portait une tunique noire et ses cheveux étaient teints du même ébène, par goût. Son beau visage semblait gâché par sa morgue. Elle écrasait Kilan de sa superbe, lui dont le regard fuyait vers le sol, qui tentait de croiser les bras, mais dont les mains semblaient glisser l'une sur l'autre.

« Que me veux-tu, Erlena ? »

En regardant l'archange déchue, Cassandra se souvint de ce qu'était la véritable puissance des anges. Surpassant toute force physique, sublimant sa beauté vénéneuse, l'atman bouillait en elle. N'importe qui pouvait le ressentir, mais seuls les connaisseurs savaient expliquer cette fascination implacable qu'exerçait Erlena, attirant autour d'elle une masse grouillante d'humains ensorcelés par sa beauté, sa prestance et curieux de ce qu'elle allait faire.

On pariait déjà sur un combat d'anges, Kilan était donné perdant à dix contre un.

« Je suis curieuse de te trouver dans ce trou, voilà tout. Je pensais que tu étais mort sur Eden.

— J'ai eu un peu de chance.

— Ah, Kilan. »

Elle était déçue de voir l'archange, non seulement fidèle à l'ordre d'Eden, mais aussi impuissant à le défendre. Cette situation la consternait et l'agaçait au plus haut point. D'un geste elle dispersa la foule des namanes, dont des petits groupes se reformèrent à distance.

« Tu es un cas d'école, Kilan. Tu as de grands principes mais tu ne te donnes pas les moyens de les appliquer.

— Ça vaut mieux que le contraire.

— Regarde où ça t'a mené. Tu es au fond d'un trou, entre deux tentes crasseuses, à t'acoquiner avec des humains, en essayant d'en arracher deux ou trois à la mort. Tu n'as plus aucune incidence sur les choses de ce monde.

— Cela vaut mille fois mieux que d'être un ange déchu.

— C'est toi qui a décidé que j'étais déchue. Mais entre nous, lequel de nous deux et tombé, lequel est encore debout ? Je te laisse choisir. »

Kilan leva fièrement la tête.

« Tu te gausses d'un pouvoir que tu décris en termes abstraits. Je juge du bien et du mal en constatant les actions et les conséquences de ces actions. Selon ce critère, tu es le mal.

— Il n'y a pas de bien et de mal, Kilan. Ce sont des notions auxquelles on se raccroche lorsqu'on est dans ta position : trop faible pour pouvoir se défendre, pour influer sur le cours des choses. Bien et mal sont des notions abstraites, quand on y pense, tandis que pouvoir ou ne pas pouvoir sont des notions claires. Je peux. Tu ne peux pas. Cela, je te le concède. »

En retrait, Cassandra assistait malgré elle aux retrouvailles froides de deux archanges appartenant désormais à des camps séparés. Elle craignait de voir la situation dégénérer à tout instant. Kilan n'avait aucun pouvoir, mais le ressentiment pouvait le pousser au pire ; Erlena se ferait un plaisir de l'achever sur place.

« Tu t'es trouvé un animal de compagnie ? demanda l'ange déchue en la remarquant.

Docteur Cassandra Hilbert, dit-elle, presque certaine que cette intervention était un des seuls moyens d'empêcher le désastre.

— C'est vrai, vous avez tous des noms. J'aurais aimé te reprendre auprès de moi, Kilan, mais je suppose que, même sorti du trou, tu continueras de chasser des rats. Si c'est une meilleure amante que moi, je te la laisse. Ne la casse pas. Ils sont fragiles, tu sais, un rien les tue. »

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant