IV - 2. Les défenseurs

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31 décembre -- 2000 mots


Yora, capitale de l'Orkanie fédérale, 20 mars 2011


« Lieutenante Leam Fédorovitch.

— Archange Gabriel. »

La vampire s'était assise en tailleur avec flegme, comme si elle n'attendait même pas qu'on la délivre de sa cellule improvisée dans le local à poubelles d'un immeuble résidentiel évacué. Leurs yeux se croisèrent en même temps que leur discours, signifiant qu'ils maîtrisaient tous deux la neurolecture. Ils jaugèrent leurs pensées respectives.

« Je ne comprends pas tous les événements qui vous ont amenée ici, lieutenante.

— Une série de hasards.

— En tant que kaldarienne, vous ne croyez pas au hasard, je me trompe ?

— Peut-être vous trompez-vous sur le kaldarisme. Il y a du hasard et il n'y en a pas. C'est une simple question de point de vue. Tout futur peut être prédit – depuis son propre futur. »

Gabriel semblait avoir du temps à perdre. Lorsque Leam s'était rendue aux orkaniens, elle avait senti leur fébrilité. Un coup de feu avait même retenti. Le moindre oiseau émergeant de la forêt risquait de se faire écharper sur place ; d'ailleurs, les animaux semblaient avoir compris le message. La forêt boréale était amorphe, plongée dans un silence d'agonie, comme à l'approche d'un prédateur languissant qui mettrait des jours à faire les derniers cent mètres le séparant d'un point d'eau.

« Vous n'êtes pas ici pour nous aider, s'étonna Gabriel, sur un ton de reproche.

— Je considère que j'ai fait mon temps dans la Deuxième Armée. Le Commandement a mérité cette défaite, pas nous. Je suis une survivante. Une anomalie peut-être. Vous pouvez considérer que j'existe et n'existe pas à la fois. Non, pour être honnête, je recherche mon époux Vladimir. Je me suis demandée s'il n'était pas remonté à Yora. »

Gabriel semblait peu convaincu par son discours.

« Je ne crois pas, avança-t-il. Très peu de survivants de la Deuxième Armée ont fait le chemin jusqu'ici, parmi eux encore moins de vampires, aucun qui ne vous connaisse. »

Leam fronça les sourcils et se leva, ce qui déclencha un réflexe de recul du garde posté à l'entrée.

« Vous voulez que je vous aide ? » comprit-elle.

La neurolecture lui venait avec une facilité qu'elle n'aurait jamais soupçonnée. Elle voyait des images flotter autour de l'archange ; les pensées qui surnageaient à la surface de son esprit, proches de la parole, mais non dites, qu'il partageait silencieusement avec elle. Une ange gardienne y apparaissait beaucoup.

« Qui est-elle ? Astyane ? Que représente-t-elle pour vous ? »

Question trop difficile : elle vit plusieurs réponses se presser et se heurter. Gabriel aimait Astyane comme une fille ou une amie proche ; mais ce n'était que le début du fil de ses pensées. Il voyait beaucoup plus en elle qu'une simple personne.

« Astyane est la seule a avoir connu Samaël, assisté à la chute d'Eden et la mort de Pierre. Elle possède le don de l'atman, comme vous et moi, mais à un niveau qu'elle ignore elle-même. Elle est appelée à reconnaître le mal sous son ultime forme et à le vaincre.

— Sait-elle que vous la prédestinez à cette tâche ? Dans ce cas, pourquoi la protégez-vous ? Pourquoi est-elle en arrière-ligne ?

— Je me prépare à devenir un monstre moi-même. Dans quelques heures, lorsque l'Empire donnera l'assaut sur Yora, je deviendrai la destruction. Le pouvoir que je possède sera employé à blesser et à tuer. Et je ne blesserai ni ne tuerai le Mal lui-même, ni ses manifestations, mais ses servants inconscients ; les êtres pris dans sa toile. Astyane n'a jamais tué quiconque. Elle n'a jamais blessé ni causé de souffrance. Elle est encore pure et exempte elle-même du Mal ; c'est pourquoi elle sera apte à cette tâche, contrairement à vous et moi.

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant