IV - 11. La conférence de Yora

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1er janvier – 1600 mots


Yora, capitale de l'Orkanie fédérale, 10 juin 2011


Lorsqu'il avait été à Verde, le général Viktor pensait que rien ne l'agacerait plus que cet État-major décadent, sûr de son fait, occupé à ses jeux d'apparence et ses querelles de cour, alors que la guerre roulait déjà sur l'Orkanie.

Il se trompait. L'agacement arriva à son faîte lorsqu'il retrouva ces mêmes hommes et femmes, vainqueurs cette fois, occupés à se féliciter, savourant un résultat pour lequel ils n'avaient rien fait.

Cela se nommait « la Conférence de Yora », et dès qu'il posa le pied dans cette ville, Viktor sut qu'on l'y déposséderait de sa victoire.

La conversation téléphonique, la veille, avec le président Velt, avait donné le ton. « Hors de question que l'occupation de Kimpa devienne pérenne. Je veux que la Première Armée regagne le continent d'ici la fin de l'année. Vous laisserez quelques bureaux de gestion, rien de plus ; quant à l'Empereur, qu'il reste en place, c'est le rôle de ses conseillers que de mater ses ardeurs nationalistes. Je pense qu'ils feront très bien leur travail. »

De fait, des ambassadeurs namanes siégeaient eux aussi à la Conférence, comme si toute la guerre n'avait été qu'un profond malentendu, résultant d'une note mal lue. Ils faisaient profil bas, ne posaient pas de question. À quiconque leur en posait, ils répondaient en hochant tranquillement la tête, ce qui ne veut rien dire, hormis « laissez-moi tranquille ».

Quant aux diplomates fallniriens, ils discutaient gaiement avec les militaires wostores autour d'un verre de Mesnas, traitant des termes de l'occupation de leur pays comme on arrête un contrat de location. – Nous remettrons sur pied un gouvernement, mais il faudrait que vous nous rendiez le palais présidentiel... – Impossible pour le moment, le général est encore là-bas. Peut-être, quand il sera remplacé... – Vous en toucherez deux mots à la chancelière, néanmoins ? Merci.

Viktor avait l'impression d'être le seul à se souvenir de l'horreur de ces guerres. Il voulait à tout moment se lever, invectiver ces hommes soucieux avant tout de regagner leur confort, à travers eux ces peuples gazeux, volatiles, qui s'étaient jetés les uns contre les autres tels des loups, et prétendaient maintenant que rien de tout ceci n'avait eu lieu.

Au premier jour de la Conférence se succédèrent les discours d'introduction. Les diplomates étaient réunis en une vaste salle demi-circulaire, autrefois réservée au congrès des parlementaires orkaniens. Elle aurait vocation à devenir pérenne. Viktor ne comprenait pas pourquoi on réunirait tous les ans la crème de Daln à grands frais, pour l'entendre déblatérer sur l'avenir de sa planète, tout en se goinfrant aux frais du contribuable.

« Eden n'est plus, dit le président Bill Velt. Un nouvel ordre mondial voit le jour. Nous sommes les gardiens des idéaux que les anges ont portés durant des siècles. Ces idéaux ne tiennent pas que des préceptes d'Unum, ils sont universels. Il est de notre devoir de nous unir contre ceux qui tenteraient, par la duperie et le mensonge, en faisant appel à nos passions les plus coupables, de les abattre – et de nous abattre.

— Nous n'avons pas été sages, dit la chancelière Anna von Gottsburg. Nous avons cru que nous pouvions changer l'ordre des choses en un instant, et que nous y gagnerions quelque chose. Or ce que nous avons perdu ne pourra être remplacé ; quant à ce que nous avons gagné, il s'agit d'une mémoire collective. Honte et culpabilité tourmenteront encore longtemps certains d'entre nous, sur ce monde, mais ce n'est pas ces sentiments que nous léguerons à nos prochains. Ce que nous devons leur inculquer, c'est la certitude d'avoir mal fait. Voilà ce que nous avons appris. Nous nous sommes trompés. »

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant