Chapitre 12 - Tremblement

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Jayu dormait encore quand Hyuna se réveilla. Elle resta un certain temps à le regarder, à détailler sa posture de dormeur. Étendu sur le côté, en chien de fusil, sa robe de chambre un petit peu entrouverte dévoilait son épaule. Les yeux de la brune se plissèrent en remarquant les petits détails qui creusaient sa peau duveteuse. Ces petites cicatrices rondes, cendreuses lui causèrent de la peine. Il devait s'agir de brûlures récentes, car elles semblaient trop fraiches pour avoir été faites plus d'un mois auparavant. Probablement des sales types qui, lorsque Jayu travaillait au Harem de l'Empereur, avaient dû s'amuser à le torturer avant de se satisfaire. Des salauds.

Jayu ne lui avait pas parlé de l'après-explosion. Elle ne savait pas comment il avait atterri là, mais comprenait qu'il avait dû être une proie facile pour des personnes telles que Kwang-bom. C'était atroce pour elle d'imaginer que Jayu était parvenu à fuir un enfer pour aussitôt tomber dans un autre. Mais cela allait changer. Tant qu'elle serait à ses côtés, aucun homme ne pourrait le maltraiter de cette manière. Elle marchanderait longuement pour qu'il soit cajolé comme un prince, soigné et respecté.

Elle décida de s'occuper du petit-déjeuner. Elle voulait se charger de tout, que le gosse émerge de rêves agréables et n'ait plus qu'à poser ses pieds sous la table pour savourer son repas.

Elle abandonna donc Jayu, en se promettant de disparaitre le moins de temps possible. Comme la veille avec la salle de bain, elle se sentait mal de le laisser seul. Elle se rendit au buffet de l'hôtel de Game-Play, deux étages plus bas. Ils y proposaient des mets très variés pour le petit déjeuner. On pouvait prendre sur un plateau ce que l'on voulait et le remonter dans sa chambre. Puisqu'elle n'avait pas pensé à lui demander ce qu'il aimait prendre le matin - et qu'il dormait si bien qu'elle n'avait pas eu le cœur de le réveiller pour ça - Hyuna revint donc avec du riz, du porc sauté, des croissants précuits, des toasts, une omelette de riz, deux mini-briquettes de jus de fruit - celles qui ont une petite paille sur le côté -, de la brioche, du beurre, une coupe de salade de fruits, du lait chaud, des sachets de thé et du chocolat en poudre. Elle n'avait pas pris de café. La boisson était trop amère et indigeste, elle l'avait en horreur et avait décidé que si elle détestait, Jayu détesterait aussi.

Avec une synchronisation parfaite, Jayu ouvrit les yeux au moment où le plateau se posa sur la table de leur chambre, devant la fenêtre. Hyuna apprécia ce petit spectacle : celui d'un môme égaré, engourdi de sommeil, qui passait d'une expression pleine de confusion et de crainte à quelque chose qui ressemblait bien à du soulagement. Le souvenir de la veille, l'identification du lieu et de la compagnie qu'il avait gagnée le fit sourire. Il lui dit bonjour et vint s'asseoir en face d'elle. Il avala le salé comme le sucré avec égal intérêt. Hyuna ayant moins d'appétit ce matin-là, passa plus de temps à le regarder faire qu'à se nourrir elle-même.

Ils avaient fait un grand pas en avant cette nuit, tous les deux. Elle n'avait pas été surprise d'entendre que Jayu était un enfant victime d'inceste. Elle aurait parié une belle somme dessus à vrai dire. En revanche, l'épisode de l'incendie l'avait sincèrement surprise. La petite chose toute fragile qui, devant ses yeux à l'instant même, étalait maladroitement du beurre sur ses tartines, cet être famélique avait implacablement mis fin à la vie de ses bourreaux. Il avait consommé sa vengeance, sans l'aide d'autrui.

Elle avait beau avoir grandi dans un gang, appris à faire des prises de judo et à lancer des couteaux, elle n'avait jamais tué personne. Elle avait déjà été complice, témoin. Elle avait déjà battu, guetté, menacé, mais jamais elle n'avait eu à tirer. Elle s'était toujours dit que ce ne serait pas un problème, que s'il le fallait... elle presserait la détente. Pourtant, comment être sûre que, le moment venu, elle ne vacillerait pas ? Jayu, lui, n'avait pas vacillé et il l'avait allumée, cette sacrée petite allumette. Elle avait su tout de suite que ce garçon avait de la ressource, mais à ce point-là ! Elle ne se serait jamais doutée.

À force de penser à ça, elle finit par craquer :

— Dis-moi, Jayu, est-ce que je peux encore te poser une question indiscrète ?

Un morceau de pain grillé venait de craquer sous la pression de la mâchoire de l'adolescent et après avoir mâché et avalé suffisamment de nourriture pour pouvoir articuler sans avoir la bouche pleine, il répondit :

— Oui, noona.

— Est-ce que tu t'es senti mieux une fois que tu savais qu'ils étaient morts ? Est-ce que ça t'a rendu heureux ?

Les gangsters ne grandissent jamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant