Chapitre 5 - La Pian Kkoch sur le dos

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Régulièrement, la jeune fille blonde se retournait pour le regarder. Chaque fois, elle avait l'air de le redécouvrir, d'être surprise par sa présence à ses côtés. En se faisant cette réflexion, Jayu se rendit compte que lui-même devait avoir la même expression abasourdie lorsqu'il la contemplait.

Depuis le pont aux chats, ils n'avaient plus parlé. Aussi silencieux l'un que l'autre. Ils avaient effectué un changement de bus, puis, ils étaient arrivés dans une rue dédiée à la consommation. Les immeubles, autour d'eux, étaient tous des centres commerciaux à étages, sur lesquels des annonces de la taille d'une baleine avaient été collées. Des publicités habillaient les buildings. Jayu se laissait aller à lire certaines d'entre elles. Une réclame blanche et rouge, recouverte d'hangeuls gras et noirs, qui prônait les saveurs authentiques d'un restaurant à bibimbap. Jayu essaya de ne pas prêter attention à son ventre qui se tordait déjà d'un désir audible. Difficile devant les photographies des galettes de porc sautées ou frites, enroulées dans leur couette de riz et leur couverture de nori, de ne pas saliver. La salive humectait déjà sa bouche. Il se détourna pour observer une publicité représentant une belle Coréenne à la peau blanche, étendue sur le ventre, ses pieds battant l'air avec nonchalance, alors qu'elle n'était recouverte que d'une serviette sur le bassin. Une tranche de concombre recouvrait son œil droit. Une deuxième serviette s'enroulait autour de ses cheveux. Cette fois, les hangeuls avaient été remplacés par des lettres romanes : « Paris beauté 3D ».

Jayu se demanda pourquoi la plupart des instituts de beauté avaient des noms de villes ou de pays occidentaux. En tout cas, le 3D, il savait ce que ça voulait dire. Cela signifiait qu'il fallait prendre un ascenseur pour se rendre dans cet institut. Troisième étage, porte D.

Jayu dut soudain arrêter d'observer les campagnes : Hyuna le tira sur sa droite. Elle les entraina entre deux immeubles. Là, ils trouvèrent la porte d'un ascenseur, qui donnait directement dans cette impasse, à l'air libre.

Ils entrèrent à l'intérieur et Hyuna lança son doigt à la recherche de la bonne destination. Tous les numéros d'étages étaient accompagnés d'une longue liste de commerces. La jeune fille pressa le niveau « -2 » et l'ascenseur les fit descendre.

Il leur fallut encore marcher dans un large couloir de galerie marchande, éviter les nombreux clients, trop perdus dans leurs conversations pour regarder devant eux. Puisque la lumière du jour ne parvenait pas en ces lieux, Jayu eut l'impression qu'il faisait nuit. Ici, à n'importe quelle heure, l'ambiance lumineuse devait toujours être la même. Les lampes artificielles remplaçaient le soleil.

Etant donné que Hyuna avait fini par lâcher sa main, Jayu avait parfois du mal à la suivre. Devant lui, elle marchait avec de plus en plus d'enthousiasme, avec tant de certitude que les passants qui croisaient sa route, lui cédaient toujours le passage. Elle allait droit devant et c'étaient aux autres de zigzaguer. Jayu, derrière elle, n'avait pas la même assurance. Les personnes lui rentraient dedans, sans s'excuser, et lorsqu'un groupe de jeunes étudiants se disloqua pour laisser passer Hyuna, il se referma ensuite sur lui. Il perdit un peu de temps à se sortir de l'attroupement. Il courut pour rattraper la jeune femme, qui s'était arrêtée devant une porte. Elle le cherchait des yeux et, le voyant arriver, un sourire soudain et franc, se forma sur ses lèvres. Elle ouvrit prestement la porte de la boutique et, toujours avec ce sourire engageant, d'un petit signe de tête, elle lui fit signe d'entrer.

Quelques secondes suffirent à Jayu pour comprendre l'activité qui avait lieu entre ces quatre murs. Pourtant, c'était la première fois qu'il entrait dans un salon de tatouages.

La pièce n'était pas très grande, surchargée. Des rideaux occultants séparaient deux espaces de tatouages. Ils étaient noirs, tout comme le plafond, le sol, les posters, le comptoir de l'accueil... Seuls les murs, bruts, en briques rouges, apportaient un peu de lumière et de couleurs vives. Ce monochrome sombre avait pour effet d'accentuer l'absence de fenêtre qui semblait plus gênante ici que dans les couloirs. Il ne faisait pas sombre pourtant. L'éclairage était même puissant, sûrement pour permettre aux tatoueurs de travailler dans de bonnes conditions.

Il n'y avait qu'un client. Ou plutôt une cliente. Elle était jeune et jolie, comme Hyuna. Elle devait avoir à peu près le même âge qu'elle et, comme elle, elle était teinte en blonde. La comparaison s'arrêtait là. La cliente, allongée sur le dos, avait une jambe repliée et l'autre étendue. Une chaussure et une chaussette étaient abandonnées sur le sol. Mais surtout, elle criait :

— Enfoiré ! Fait chier ! C'est forcé de faire aussi mal !

— Je vous avais dit que le pied, c'était pas une partie de plaisir. Vous vous attendiez à quoi lorsque j'ai dit : « douloureux » ?

Les gangsters ne grandissent jamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant