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Elle tira à elle une boite en fer, de la taille d'un tome encyclopédique. Elle contenait des seringues, des aiguilles, une lanière en cuir, de l'alcool, des cotons, de l'eau, une bougie, une petite cuillère en argent, au manche très recourbé, et enfin une feuille d'aluminium pliée avec soin. La jeune femme déplia le paquet, dans un froissement métallique. Au cœur de la feuille luisante se trouvait une infime quantité de poudre, semblable à des cristaux de sel extra-fin. Hyuna souffla :

— De l'héro... merde !

Quand elle vivait à la presqu'île de Seo, Hyuna aurait eu de multiples occasions de prendre de l'héroïne, mais elle n'y avait jamais touché. La phobie des piqûres. Elle n'avait jamais compris l'intérêt d'en passer par là, alors que cette drogue parfaite, que l'on appelle cocaïne, se prenait sans douleur, sans effusion de sang et surtout sans aiguille.

Mais elle n'avait plus de cocaïne. Le manque était tellement fort, la situation si tendue, que Hyuna se résolut à se piquer. Déterminée, elle jeta la boite sur le matelas. Son pantalon tomba à ses pieds et elle s'assit à côté du nécessaire du parfait héroïnomane.

Elle connaissait les gestes, pour les avoir souvent vus exécutés par ses anciens camarades criminels : fixer l'aiguille au corps de la seringue, la stériliser, elle et la cuillère arquée avec un coton imbibé d'alcool ; déposer l'équivalent d'une tête d'allumette de poudre d'héroïne pure - surtout pas davantage - dans la face concave de la cuillère, tandis que la face convexe chauffait dans la flamme d'une bougie ; ajouter treize gouttes d'eau en les faisant rouler sur l'aiguille ; observer la poudre se diluer dans l'eau qui bouillonne, tel un mini jacuzzi ; aspirer dans la seringue le liquide translucide et chaud ; enfin, presser un peu sur le piston pour chasser l'air.

Hyuna reposa à côté d'elle la seringue prête à l'emploi, serra le garrot sous son aine, au-dessus de la cuisse. Sa mâchoire se crispa d'appréhension. Si elle n'avait pas eu autant besoin d'un remontant chimique dur, elle n'aurait jamais eu le courage de regarder ses propres veines. Les lignes bleues serpentaient sous sa peau translucide, comme les nervures irrégulières des algues. Elle tâta plusieurs veines et en choisit une. Elle reprit son aiguille d'héroïne, serra fortement les dents, un frisson d'appréhension la prit quand elle piqua sa cuisse.

La morsure désagréable de l'aiguille lui arracha un miaulement plaintif. C'était comme s'arracher un cheveu minuscule, mais très bien accroché. Son propre sang, sous l'effet de la capillarité, remonta dans la seringue, se mélangeant à l'héroïne. Elle pressa rapidement le piston pour que cela se termine. La pression du liquide entrant dans ses veines lui donna l'impression que l'aiguille sous sa peau s'allongeait.

Elle retira l'aiguille et voulut prendre un coton pour essuyer la goutte écarlate qui perlait à la surface de sa peau. Mais elle en fut incapable. La drogue courut le long de sa jambe pour mieux revenir vers le haut de son corps. Ses bras furent paralysés par le choc, avant d'avoir le temps de saisir ce coton.

Son cœur gonfla et se gela, il battit à toute allure. À chaque pulsation, Hyuna frémissait comme sous l'effet d'un choc électrique.

Merde !

Mais le juron ne franchit pas la barrière de ses lèvres. Elle ne parvenait même pas à respirer convenablement.

Merde ! C'est trop fort ! Qu'est-ce que j'ai foutu !

Ses yeux ne percevaient plus ce qui l'entourait. Sa cuisse, celle qui avait été piquée, la démangeait, comme si des milliers de fourmis étaient en train de la grignoter. L'air lui manquait.

À l'aide !

Elle tomba en arrière, s'enfonçant dans le matelas. Elle aurait juré qu'elle venait de tomber à l'eau. Elle était trempée, son corps entier flottait au-dessus d'une surface violemment agitée. La houle lui donnait le mal de mer. Elle trouva la force d'étendre ses bras, pour flotter et pour ne pas couler dans la mer.

À moins qu'elle ne soit déjà sous la surface. L'humidité la recouvrait en tout cas. Elle sentait sur sa peau des courants d'une eau parfois glacée, parfois bouillante. La nausée la fit finalement basculer sur le côté et vomir son dernier repas, à côté du lit.

Les gangsters ne grandissent jamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant