Chapitre 16 - Les oiseaux de Mme Omoni

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Hyuna et Jayu emménagèrent dans un petit appartement de fonction se trouvant derrière le Taejogung Hôtel, à l'arrière du jardin. Par les fenêtres, ils pouvaient voir les branches des arbres, toutes nues, semblables à des squelettes ramifiés, dont les extrémités étaient aussi fines que les plus petits os des canaris. La lumière demeura plusieurs jours paresseuse, filtrée par les nuages et tout se recouvra d'un voile d'humidité, sans que jamais il ne pleuve. L'automne repeignait le monde dans une aquarelle où toutes les couleurs avaient été diluées avec beaucoup d'eau et un peu de gris.

Ils n'avaient pas beaucoup d'espace et encore moins de possessions pour le remplir. Hyuna avait dû se servir dans l'enveloppe laissée par Haïja pour régler la somme indécente réclamée par Mme Omoni. Elle avait exigé qu'elle paie par avance les examens médicaux du gamin et une semaine de loyer. À présent, ils n'avaient plus de quoi se retourner. La situation aurait dû stresser Hyuna. Elle aurait dû prévoir un plan B, une solution au cas où les résultats des examens n'étaient pas favorables. Elle n'en fit rien. Elle effaça l'avenir de ses pensées, les enferma dans un présent immédiat vide de sens où rien n'existait en dehors d'elle et de son protégé.

Le mauvais temps servait d'excuse pour rester couché tout le jour, oisive et insatisfaite. Heureusement pour elle, le logement de fonction était déjà meublé et l'essentiel s'y trouvait : un lit double, large et confortable. Les derniers wons de l'enveloppe lui servirent à s'acheter quelques accessoires vestimentaires : culottes, chaussettes, ainsi qu'un gros pull en laine angora. Puisqu'elle ne sortait presque jamais de la chambre, elle n'enfilait ni pantalon ni jupe. Elle restait en shorty avec des guêtres roses poudrées qui rampaient jusqu'à mi-cuisse, comme des bas.

Pour se nourrir, ils subsistaient avec le minimum. Jayu quémanda aux cuisines de l'hôtel du riz et de la soupe de kimchi. Il préparait trois repas par jour, auquel Hyuna ne touchait presque pas. Elle avait perdu l'appétit et, avec lui, l'envie de bouger, de jouer, de plaisanter et même d'écouter de la musique. Son poids diminua et, malgré ses efforts pour paraitre vivante, sa neurasthénie commençait sérieusement à inquiéter celui qui partageait sa déprimante compagnie.

— Je me demande pourquoi il ne pleut pas, dit-il en s'asseyant près de la silhouette étendue sur le lit. C'est étrange, tous ces nuages. Ce sont des nuages de pluie et pourtant il ne pleut pas.

Hyuna grogna en regardant la fenêtre et la pauvre lumière qui la traversait.

— Tu es sûre que tu vas bien, noona ?

— Oui, j'en ai simplement assez d'attendre.

Après l'examen du médecin, l'incertitude demeurait. Il fallait attendre. Le sang prélevé dans les veines de Jayu se trouvait quelque part dans un laboratoire médical, où il passait de tube en tube, d'analyse en analyse ; du moins, c'est ce qu'imaginait Hyuna, plus de quatre journées s'étaient déjà lascivement écoulées, sans aucune nouvelle de la part de Mme Omoni.

— Est-ce que c'est normal que ça soit si long ? demanda Jayu d'une voix blanche.

— Ne t'inquiète pas. Tout se passe bien. J'ai fait un test VIH, une fois. Il faut quelques heures pour connaitre les résultats. Si tu avais cette saloperie, Omoni nous aurait déjà mis dehors. Je pense que si c'est long, c'est que ça doit être bon signe. Mme Omoni est têtue, elle cherche des maladies rares et elle ne trouvera rien, parce que tu n'as rien.

— Qu'est-ce qu'on fera si je suis malade ?

Hyuna soupira d'agacement.

— Arrête. Arrête de parler. Tu m'ennuies.

Il se tut et s'allongea près d'elle. Elle mit son nez contre sa nuque claire. Elle sentait le shampoing et le vent froid.

~

À quatre heures de l'après-midi, Mme Omoni fit chercher Hyuna. La jeune femme eut l'impression de sortir d'un sommeil ininterrompu de plusieurs jours. Le soleil avait choisi précisément ce moment-là pour sortir de sa cachette. Une fois à l'extérieur, Hyuna se trouva comateuse comme si une partie d'elle-même était restée vautrée dans les draps douillets de son lit. Il lui fallut frotter ses yeux pour vraiment comprendre qu'on ne l'emmenait pas dans le bureau de la patronne du Taejogung hôtel, mais dans les jardins, plus précisément dans une magnifique volière.

Les gangsters ne grandissent jamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant