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Hyuna vit Jayu tourner instinctivement les yeux vers les vitres, en direction du mont Nasuk : une colline verte, au centre de la ville, en haut de laquelle la reconstitution convaincante d'un temple bouddhiste servait d'appât à touristes. Le quartier auquel il venait de faire référence se trouvait là-bas, au pied de ce mont. L'expression hagarde, le gamin ne semblait rien regarder en particulier. Des souvenirs devaient lui revenir. Il en exprima une infime part à haute voix :

— J'habitais un des appartements conteneurs.

— Hum.

Les conteneurs avaient été installés juste après la crise de 1998. Beaucoup de gens avaient perdu leur travail et ne parvenaient plus à payer leur loyer. Pour éviter que des bidonvilles éclosent de nouveau dans les rues de Nasukju, le maire avait fait mettre ces maisons conteneurs. D'après ce qu'on avait dit à Hyuna, habiter à l'intérieur d'un de ces dispositifs n'était guère mieux que de loger dans un bidonville.

— Moi, j'ai passé mon enfance à Yeonje-Gu.

Le gosse n'eut aucune réaction, aucun sourire. Hyuna abandonna et tira sur la main de l'adolescent, pour l'entrainer à descendre.

Une fois à l'extérieur, des vents violents les surprirent. La jeune fugueuse tressaillit et Jayu, quant à lui, se mit aussitôt à trembler, tandis que ses dents s'entrechoquaient. Elle lui aurait bien prêté sa propre veste, s'il n'y avait eu ce foutu tatouage.

La tenue du petit ne convenait pas à la saison. Il portait un short beige coupé au-dessus de ses genoux, un t-shirt trop grand et très laid qui aurait pu être un objet de marchandising offert par une grande enseigne de distribution. Une simple paire de baskets lui saillait les pieds, comme le t-shirt, elle était une taille trop grande et bien usée. Apparemment, il ne possédait même pas de chaussettes. Hyuna n'avait pas pensé à lui demander d'aller chercher ses biens avant de partir. Cela dit, lui non plus n'avait pas proposé de passer dans sa chambre. Il aurait pu y prendre un pull, une veste, n'importe quoi. Il n'avait rien sur lui : ni sac, ni papiers, ni liquide. Il n'avait emporté aucun souvenir de son ancienne vie, si tant est qu'il y eût quelque chose à prendre.

Le dépouillement de Jayu la renvoya à sa propre misère. Elle non plus, n'avait pas fait ses bagages avant de fuir. L'image de sa chambre au Q.G. du Pian Kkoch se forma dans sa tête, celle des cent grammes de cocaïne, à côté du café instantané, apparut plus nettement encore. Rien que d'y penser, elle ressentait les effets du manque. C'était totalement dans sa tête puisque sa dernière ligne était toute récente et qu'elle ne pouvait donc pas être en descente, mais elle se sentait déjà malade, malade à force d'imaginer que tout son stock finirait dans un autre nez que le sien. Elle avait travaillé dur pour économiser suffisamment. Quel gâchis !

Ils faisaient bien la paire tous les deux. À braver le froid sans vêtement et l'avenir sans préparation. Hyuna ne savait même pas où elle les emmenait. Où aller. Elle remonta une fois de plus sa veste sur ses épaules, pour être parfaitement certaine que personne ne pourrait voir son tatouage. Grâce à ce geste de prudence, la jeune femme sut alors quelle serait la prochaine étape de leur parcours.

Finalement, la vie n'est faite que de cycles. Celui qui a fui une fois, fuira de nouveau. Et, puisque les personnes chez lesquelles on peut se réfugier sont peu nombreuses, nous revenons toujours au même point. Hyuna prit la direction du quartier de son enfance : Yeonje-Gu.

Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas vu Haïja.

Les gangsters ne grandissent jamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant