Pendant que les deux hommes s'activaient pour emballer le corps dans un linge sombre, Hyuna devait continuer de surveiller les travailleurs du sexe. Elle se mit à marcher devant eux, comme si elle inspectait les rangs d'un régiment militaire. Elle les observa tous longuement. Bien sûr, elle ne voulait, en réalité, qu'en détailler un seul, mais il ne fallait pas éveiller les soupçons. Donc, elle les regarda toutes et tous.
Son gabarit léger de femme de vingt-trois ans ne risquait pas d'impressionner grand monde. Mais son regard, servi par des iris jaune fauve, avait déjà fait baisser les yeux de plusieurs gangsters. Un tel regard, accompagné de la menace du flingue dans sa main, suffisait à intimider les prostituées. Elles avaient toutes détourné les yeux. Lui, ce fut différent. Il garda la tête levée vers elle. Ce n'était ni de la provocation ni du courage. Il ne semblait pas vraiment la voir. Comme les autres, il devait rester assis sur le sol et ses mains entouraient ses genoux, comme pour se tenir chaud.
Hyuna cessa de mâcher frénétiquement son chewing-gum, sa respiration se suspendit. Derrière elle, La paire jura en manquant de glisser sur du sang frais, mais elle ne se retourna même pas. Il aurait pu se passer n'importe quoi dans son dos, elle l'aurait ignoré. Elle venait de croiser son regard et plus rien n'existait en dehors de cette étrange vision : celle d'un petit garçon.
Qui aurait pu croire que dans ce lieu immonde, où ce qu'il y a de pire dans la nature humaine côtoie le sordide, là, Hyuna croiserait la route de cette perle ? Ce garçon affichait des traits juvéniles, trop juvéniles au regard de l'activité qu'il devait avoir dans cet hôtel de passe. Son visage, sans imperfections, n'avait pas été abîmé par les souffrances de cette vie. Il dégageait une aura angélique. Comme les anges, il n'avait pas tout à fait de sexe. Hyuna reconnut un garçon, mais il aurait pu s'agir d'une fille, tant ses traits étaient ronds, tout en douceur. Il possédait tous les atouts qui rendent les enfants admirables : un nez minuscule, une bouche en cœur et des yeux suppliants. Sa peau blanche évoquait la fraicheur et le velouté d'un verre de lait. Cette étendue pâle contrastait avec ses cheveux charbonneux et ses iris, qui avaient exactement le même noir que celui de ses pupilles, le noir du vide, le noir du néant. Les sphères sombres hypnotisèrent Hyuna. Elles se détachaient au centre de ces yeux, subtilement bridés, cernés par des cils épais couleur ébène. Dans ces deux sphères noires, Hyuna se sentit comme aspirée. Elle sombra dans ce vide troublant, chutant comme à l'intérieur d'un puits. Elle s'y perdit sans espoir de retour.
Lorsqu'enfin Hyuna cligna des yeux et inspira, la porte avait claqué. Elle se trouvait seule avec les employés du Harem de l'Empereur et sa rencontre inattendue, encore en état d'hébétude. Elle ne dit pas un mot. L'enfant ne parla pas non plus. S'était-il rendu compte du trouble de Hyuna ? En tout cas, il resta silencieux, à l'observer avec détachement. Il portait sur elle, comme sur le monde entier, un regard dépouillé et absent.
Hyuna leur ordonna, à tous, de retourner dans les chambres, aux étages. Les femmes passèrent devant elle pour monter les escaliers, en baissant les yeux. Quand vint le tour du garçon, en queue de peloton, elle s'interrogea sur sa capacité à l'abandonner ici. Pouvait-elle le laisser rejoindre sa chambre et son triste destin ? Pouvait-elle l'oublier, tout en sachant que Luka, lui, n'oublierait jamais ? Il reviendrait ici, prendrait sur cet enfant les résidus de beauté et de vie qui avaient survécus. La jeune femme s'imagina prendre cette décision. Elle se sentit coupable et pleine de remords. Difficile de faire comme si elle n'avait pas ressenti un coup au cœur, une intense décharge. Une beauté comme la sienne, ce n'était pas quelque chose que l'on voyait tous les jours, cela avait de la valeur.
Hyuna laissa l'enfant passer devant elle, ses pieds étaient déjà sur la première marche de son échafaud. Elle ne fit rien, elle avait pratiquement fait le choix de ne pas agir. Seulement, elle eut la faiblesse de le suivre du regard et, bien sûr, il se retourna.
La main de la jeune femme se leva alors, presque malgré elle. Elle saisit les doigts du garçon. Il ne se déroba pas. Elle l'attira vers elle. Il se laissa faire. Hyuna le mit de face, se baissa légèrement pour se mettre à sa hauteur d'enfant.
Il était petit de taille et si frêle. Elle caressa ses doigts tendrement. Il n'eut toujours aucune réaction. Elle sut qu'il avait eu trop de caresses dépourvues d'amour auparavant. Le garçon n'avait pas de raison de croire que celle-ci était différente. Hyuna insista pourtant, enserrant la petite main dans la sienne.
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Les gangsters ne grandissent jamais
ActionHyuna n'a que douze ans lorsqu'elle est témoin de l'assassinat de sa mère par un parrain du crime organisé. Devenue un témoin gênant, elle n'a d'autre choix que d'accepter de servir à vie le gang rival du tueur : le Pian Kkoch, seule organisation ca...