Avant de perdre son nom, Jayu s'appelait Jeon Minsik. Il a perdu ou plutôt renoncé à son nom le 28 septembre 2012. Une journée déterminante, qui commença pourtant dans la plus grande banalité.
Jayu se leva à 6h20 du matin. Il sortit de son futon, plus fin qu'une feuille de papier, depuis que la mousse était devenue rêche. L'idée d'en demander un neuf à ses parents ne lui avait même pas effleuré l'esprit, tant elle aurait été inutile. Il avait tout d'abord roulé le vieil objet pour le placer au-dessus de l'armoire, afin de libérer l'espace qui lui tenait lieu de chambre, c'est-à-dire l'alcôve de l'entrée, entre les chaussures et le placard dans lequel sa famille stockait la nourriture.
L'adolescent sélectionna et attrapa les ingrédients dont il avait besoin pour cuisiner. Les bras ainsi chargés, il traversa l'unique véritable pièce de l'appartement, en passant devant ses parents endormis, eux aussi couchés à même le sol, sur un simple futon double à peine plus confortable que le sien. Pieds nus, Jayu avançait entre les adultes assoupis et le mur. Il rasait ce dernier, les gestes précis, dans un silence parfait. Les rideaux de la pièce étant tirés, le jour n'étant pas encore levé, il y avait très peu de lumière dans la pièce, mais Jayu n'avait pas besoin d'y voir clair. Il aurait pu faire ce trajet les yeux fermés.
À l'autre bout de la pièce, se trouvait un coin cuisine. Jayu posa les denrées alimentaires sur le plan de travail. Il tourna le bouton de la gazinière, saisit l'allume-gaz et fit partir une flamme bleue. Dans cette faible lueur bleutée, l'adolescent cuisina des galettes pajeon à base de farine de blé, de ciboule chinoise, de quelques légumes et de morceaux de tofu.
Alors que la troisième galette cuisait sur le feu, qu'une odeur chaude de nourriture embaumait la petite pièce, Jayu assembla la boite de son déjeuner. Il s'agissait de trois boites de fer empilées. Dans la première, il mit la moitié de sa galette pajeon, dans la deuxième, il ajouta du riz et dans la dernière du kimchi épicé. Affairé, il ne se rendit pas compte tout de suite que la flamme sous la poêle s'était éteinte.
Jayu fronça les sourcils en constatant qu'il n'y avait plus de feu. Il tenta d'abord de rallumer en enclenchant une nouvelle fois l'allume-gaz. Il entendit un clic, mais toujours pas de départ de feu. Le bidon de gaz devait être vide, pensa-t-il. Il s'accroupit donc pour le détacher et le trainer sur le côté. Il fit ensuite marche arrière, retournant dans son débarras pour y trouver le gaz de remplacement. Il restait encore trois bidons pleins. Jayu en prit un et repartit dans l'autre direction. Il mit la nouvelle bouteille en place et, au-dessus de la plaque de cuisson, glissa l'allume-gaz. Son doigt se trouvait sur la gâchette, lorsqu'une grosse main le saisit par derrière, au niveau de son avant-bras et le fit sursauter.
— T'es vraiment le dernier des...
La voix de son père.
Jayu entra instinctivement la tête dans ses épaules.
— Lâche ça !
L'allume-gaz tomba sur le plan de travail, rebondit et chuta ensuite sur le sol de l'appartement.
— Tu ne sens pas ? Tu ne sens pas le gaz ?
Son père hurla en le secouant.
— Que se passe-t-il ? demanda la voix ensommeillée de la mère au centre de la pièce.
— Ça a voulu nous mettre le feu à l'appart, voilà ! Le feu ! J'y crois pas ! Ça pue le gaz !
Le père lâcha Jayu et se dirigea vers les rideaux. Il les tira brutalement et ouvrit les fenêtres. Les carreaux vibrèrent à cause de la brusquerie dont il faisait preuve. Il se tourna ensuite vers son fils.
— Qu'est-ce qui t'a pris ?
— La bouteille était vide... alors...
— Vide !? Tu crois ça ?
— Mais le feu ne s'allumait pas, se plaignit Jayu. J'ai cru que...
— Fais voir l'allume-gaz ?
L'adolescent ramassa l'objet et le tendit à son père. L'homme le fit claquer plusieurs fois, aucune étincelle ne se forma. Dans la pénombre de l'appartement, cela parut évident. Jayu se maudit de ne pas l'avoir remarqué tout seul.
— C'est pas le gaz qu'était vide ! C'est cette merde qui fonctionne pas. Quel con !
L'objet vola droit sur la tête de Jayu, atterrit sur son arcade sourcilière. Puis, le garçon réagit au premier pas de son père vers lui, il se plia pour devenir une boule sur le sol. Une boule qui attendait les coups. Plusieurs vinrent effectivement, des coups de pied heurtèrent ses côtés et plusieurs coups de poing lui marquèrent les bras. Malgré les heurts, l'adolescent ne cria pas.
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Les gangsters ne grandissent jamais
ActionHyuna n'a que douze ans lorsqu'elle est témoin de l'assassinat de sa mère par un parrain du crime organisé. Devenue un témoin gênant, elle n'a d'autre choix que d'accepter de servir à vie le gang rival du tueur : le Pian Kkoch, seule organisation ca...