Chapitre XIII : Atterrissage forcé

14 5 1
                                    

« Le quoi ?! s'écrièrent en chœur les passagers.

- Le Poulpe Funambule ! Le premier engin volant dirigeable ! fit la sphinge avec fierté.

- Mais... Alors... Cette poudre que vous avez volée... C'était pour quoi ?... articula le centaure.

- Pour le moteur à explosion permettant de mettre en mouvement l'hélice à l'arrière, orientée grâce à la barre ! On vole grâce au ballon et on se dirige avec l'hélice ! Et c'est moi qui ait inventé le système ! s'enorgueillit la sphinge.

- Mais enfin ! s'exclama Syn. À quoi peut bien te servir un engin volant alors que tu as des ailes ?!

- Euh... En fait c'est... personnel... fit évasivement l'inventeuse. »

La sphinge repartit brusquement vers la cale. Syn regarda derrière elle. Le bord de la falaise se rapprochait dangereusement. C'était le moment où jamais de savoir si le moteur marchait. Un nouveau claquement fusa dans l'air suivit bientôt d'autres plus rapprochés et moins bruyants. Un ronronnement s'installa et l'embarcation frôla la falaise avant de s'élever au-dessus.

« Dites, vous pouvez vraiment pas nous ramener à terre ?... demanda Syn en se tournant vers le policier livide.

- N... Non... Je... ne peux... utiliser ce pouvoir que toutes les demi-heures, se précipita-t-il de dire avant de se pencher à nouveau par-dessus bord.

- Puisqu'on est bloqué ensemble, vous vous appelez comment ?

- Sergent Emeo Yekan, réussit-il à dire d'une traite, légèrement moins blanc.

- Enchantée si je puis dire. Je... ne vais peut-être pas vous donner mon nom en fait... reconsidéra assez vite Syn.

- Oh à propos de l'arrestation, en fait j'ai rien à part ma parole contre vous puisque votre bestiole d'eau s'est volatilisé... et puis ça m'avancerait à rien, celle que je veux c'est cette satanée sphinge !

- Bon... et bien... Appelez-moi Syn, resta prudente la naïade. »

La sphinge cria depuis la cale à ce moment-là.

« Hey ! Je vous entends ! Et la satanée sphinge elle a un nom !

- Ben donne-le au lieu de râler ! répondit Syn sur le même ton. »

Un grognement lui répondit et quelques instants plus tard, la sphinge réapparaissait par la trappe.

« Moi c'est Stidaëlle. Et à part ça, vous comptez partir quand ? Non mais parce qu'en fait on a dépassé Raën et qu'on va bientôt arriver au-dessus du lac central donc si vous voulez descendre c'est le moment ou jamais. »

Syn lança un regard appuyé vers le centaure qui secoua la tête péniblement mais obstinément.

« Je ne partirai pas sans vous avec des menottes aux pattes ! Répliqua-t-il.

- Non mais regardez-moi ce petit toutou fidèle ! le railla Stidaëlle. Prêt à tout pour faire son devoir ! Même à se retrouver perché à quelques 700 m au-dessus du plus grand plan d'eau de Lumæ ! »

Syn soupira. Si elle avait bien compté, le centaure ne pourrait jamais les téléporter avant que le bateau volant n'atteigne le lac. Elle était contente de revoir sa maison mais même si elle était littéralement composée d'eau, une chute d'aussi haut lui serait aussi fatale qu'à n'importe qui.

Le voyage se poursuivit lentement. Emeo eut le temps d'expliquer que sa téléportation avait une distance maximale et que de toute façon l'altitude à laquelle ils étaient ce n'était pas possible pour lui de les amener à une hauteur viable du sol. Mais qu'est-ce que Syn était allée faire là-dedans ?! Elle aurait mieux fait de rester dans sa taverne pourrie ! Mais de quoi elle se plaignait franchement ?! Des clients intéressants tous les jours, une paie respectable vu le travail, des possibilités d'évolution professionnelle... De toute façon même si elle arrivait à retourner à Raën son patron l'aurait déjà remplacée et elle se retrouverait à la rue. Stidaëlle restait vague sur leur destination, laissant à penser qu'elle non plus ne savait pas où aller mais ne voulant pas l'avouer. Cette théorie ne semblait pas si absurde que ça à Emeo. Après des années à la traquer il s'était vite rendu compte que son schéma de vols était absurde. Même maintenant avec enfin toutes les pièces qui se mettaient en place, il y avait quelques pièces qu'elle semblait n'avoir volé que pour le principe. Par exemple la proue magnifiquement sculptée du navire qui représentait un poulpe dont les tentacules se fondaient au milieu d'un câblage. Cette proue elle l'avait volé à un navire marchand tout ce qu'il y a de plus normal et Emeo était persuadé que son geste n'avait été motivé que par l'adéquation du motif avec le nom de son bateau.

Le temps passait et les langues restaient liées. Aucun des occupants du pont n'avait vraiment envie d'étaler sa vie et l'ambiance était glaciale. Elle était même de plus en plus glaciale.

« Stidaëlle ! C'est normal si on monte ?! s'inquiéta Syn.

- Bien sûr ! Si on veut passer la Chaîne des Cisailles il faut bien monter ! répondit la concernée, le plus naturellement du monde.

- QUOI ???!!!! s'écrièrent ses deux compagnons simultanément.»

Emeo se redressa d'un coup avant de se raccrocher au premier cordage à portée de main. Il se dressa aussi assuré que possible sur ses pattes tremblantes.

« Ça suffit ! tonna-t-il avec une assurance déconcertante. Mademoiselle Stidaëlle, je vous ordonne d'arrêter votre véhicule !

- Même pas en rêve ! s'obstina la sphinge. »

Il s'approcha de la barre et lâchant à regret son câble, il s'effondra à moitié sur la barre.

« Lâche ça tout de suite ! s'énerva Stidaëlle. C'est mon bateau ! C'est moi qui décide ! Et j'ai dit : on passe les Cisailles !

- C'est... un... ordre... ânonna le centaure en tirant de toutes ses forces sur la barre pour faire faire demi-tour au navire.

- Vous allez nous faire chavirer ! paniqua Syn. »

L'embarcation commença à pencher dangereusement alors que le félin, les griffes plantées dans la barre, tentait de redresser le cap. Syn s'accrocha au mât du navire en leur hurlant d'arrêter. Emeo était bien déterminé à retourner à Raën et il aurait pu maîtriser la voleuse sans encombre s'il n'avait pas autant eut le mal de mer. Il était du coup à moitié avachi sur la barre, l'entraînant par son poids. Les cordages craquèrent alors que la proue virait à gauche, droit sur les contreforts montagneux. Les premiers barils commencèrent à glisser vers le bord. Leur poids accentua le déséquilibre. Stidaëlle regarda désespérée son chargement basculer dans le vide alors qu'elle était suspendue à la barre, impuissante. Le policier glissa enfin dans l'autre sens, ce qui ajouté au brusque allègement du dirigeable, fit claquer quelques cordages sous la contrainte. Syn se retrouva plaquée au sol alors que l'embarcation s'élevait brutalement d'une centaine de mètres et retrouvait son cap, droit vers les montagnes. Stidaëlle invectiva Emeo tout ce qu'elle pouvait, sous le coup de la peur. Mais le centaure, tenace, reprit sa manœuvre. Cette fois-ci, le pont n'eut pas le temps de basculer à la vertical. Le poulpe en bois qui servait de proue éclata sous le choc lorsqu'il rencontra un des pics rocailleux des Cisailles.

LumæOù les histoires vivent. Découvrez maintenant