Chapitre XV : Promenons-nous

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Le soleil commença à devenir intenable à midi. Ils étaient plus au nord et plus en altitude aussi le vent était frais. La lumière se reflétait sur les roches vertes. Ils peinaient depuis qu'ils s'étaient levés entre les rochers. Ils s'étaient écrasés sur la face sud aussi devaient-ils passer le col pour atteindre la face nord, redescendre dans la vallée et la suivre jusqu'à tomber avec un peu de chance sur une ville.

Emeo scrutait les environs un peu nerveusement. Il marchait derrière, Stidaëlle menait la file, aidée sensiblement par ses ailes tandis que Syn égouttait tout ce qu'elle pouvait. Elle sentait l'eau en elle s'évaporer à grande vitesse. Son corps en étant entièrement constitué, elle devait avoir perdu trois centimètres depuis le début de la journée. La marche forcée que ses compagnons lui imposaient ne lui laissait pas le temps de s'alimenter. Quelle ne fut pas sa joie lorsqu'ils croisèrent des plaques de neiges ! Elle se roula dedans sans aucune dignité avant de reprendre son chemin comme si de rien n'était. Les sabots du centaure n'étaient vraiment pas adaptés à ce genre de terrain et il était difficile de dire qui peinait le plus au final entre lui et la naïade.

Il décrétèrent une pause au sommet. La vue était grandiose. Derrière eux l'amphithéâtre du Col Édenté et une mer de hauts sommets. Devant eux, une vallée qui serpentait au creux des montagnes vers les contreforts. Ils n'auraient qu'à la suivre pour arriver au Bosquet. Il ne fallut qu'une poignée de minutes à être immobiles, exposés aux quatre vents, pour qu'ils soient gelés. La pause fut drastiquement écourtée.

Le problème des descentes est qu'elles ne sont pas forcément plus faciles. Les muscles sollicités ne sont pas les mêmes et dans ce genre de terrain, il faut rester concentré en permanence pour ne pas glisser et tomber. Il leur fallut moitié moins de temps pour atteindre les premières prairies accompagnées d'un redressement du terrain. La marche devint tout à coup beaucoup plus agréable au milieu des petites fleurs multicolores. Rassurés sur leur sort, ils marquèrent une pause à côté du petit torrent de montagne qui surgissait de nulle part entre les rochers. Syn n'hésita pas une seconde avant d'aller y mettre les pieds. Elle s'assit comme elle pouvait au milieu, luttant pour ne pas être emportée par le courant. Une voix la fit sursauter, manquant de la précipiter vers une chute d'eau.

« Hey ! T'es pas du coin toi ! Vas-y dégage de notre torrent ! »

Syn se retourna pour se trouver nez à nez avec une de ses cousines.

« Oh ça va ! répondit-elle sur le même ton. Je fais que passer !

- Hé mais tu galères avec le courant ?! Hey les filles ! cria-t-elle en se retournant. Elle maîtrise pas le courant la squatteuse ! »

Des gloussements retentirent en écho.

« Dégage maintenant sale naïade d'eau plate... fit-elle avec mépris.

- Comment vous abusez ?! se révolta Syn. Ce n'est pas parce que je suis une naïade de lac que ça vous donne le droit ! Moi au moins je ne suis pas serrée en permanence entre deux blocs de rochers !

- C'est sûr que ça doit être tellement mieux de se faire chier dessus par des poissons !

- Au moins on a de la compagnie et on passe pas pour des grosses snob !

- Forcément ! Se faire naviguer dessus ça rabaisse l'ego ! Tiens, si t'as tellement peu de fierté, tu verra aucun inconvénient à me laver les pieds !

- Nan mais tu te prends pour qui ?! »

La naïade du torrent agita ostensiblement ses pieds devant Syn. Dans les petits ruisseaux qui rejoignaient en cascade le torrent, les têtes de curieuses apparurent. L'eau de Syn ne fit qu'un tour.

« Tu veux que je te lave les pieds ?! Très bien ! Mais d'accord je vais plutôt te laver la gueule ! »

Une vague de deux mètres de haut submergea les deux naïades. Lorsqu'elle fut passée, il ne restait plus que Syn debout. Son opposante réapparut quelques mètre en bas de la chute, l'air hébété et l'honneur froissé. L'incident se clôtura sur Syn qui ressortait du torrent, quelques centimètres en plus et un sourire victorieux.

« Euh... Syn ? commença Emeo. Si on suit ce ruisseau sur tout le trajet... tu ne crois pas que c'est embêtant de s'être brouillé avec les naïades qui y logent ?...

- Oh non, ne t'en fais pas, les naïades de ruisseaux sont très territoriales, dès qu'on changera de cours d'eau ce sera réglé. »

Syn ne se trompa pas. En descendant au creux de la vallée, le torrent rejoignit un ruisseau plus imposant et ils ne revirent plus aucune naïade. À ce moment-là, ils changèrent d'étage alpin et de petits sapins commencèrent à peupler les prairies. La descente était raide et les conifères se densifièrent aussi vite. Bientôt, Stidaëlle ne pouvant plus profiter de l'avantage conféré par ses ailes, fut rattrapée par ses compagnons. Le sous-bois s'assombrissait graduellement. Leurs pas étaient étouffés par la couche d'aiguilles. Le silence s'appesantit. Leurs respirations sifflantes déchiraient l'air, assourdissantes. Des voix en contrebas déchirèrent l'instant de recueillement.

Stidaëlle et Syn s'entre-regardèrent un instant avant de plonger simultanément des les buissons. Lors d'une rencontre surprise il vaut toujours mieux être la surprise. Emeo les regarda interloqué et paniqua un peu avant de se cacher comme il pouvait à leur suite. Syn lâcha un sifflement de protestation face au sans gêne du centaure qui avait manqué de les écraser. Les voix se rapprochait mais les arbres les dissimulaient encore.

« ...rrête ! Si tu veux pas qu'on y aille alors arrête de nous suivre !! lança une voix très clairement agacée.

- Je vous dois la vie et rien ne m'empêchera de vous rendre la pareil ! répliqua son interlocuteur. »

Seule la sphinge vit le visage de Syn afficher lentement un air de plus en plus surpris.

« Mais je maintiens qu'on aurait dû rester là-bas ! Vous avez besoin d'un entraînement digne de ce nom ! Continua-t-il.

- C'est pas un entraînement ! C'est une tentative de meurtre !

- J'avoue que la fois avec le feu c'est pas passé loin... intervint prudemment une troisième personne. »

Au moment où les inconnus furent enfin visibles, Syn bondit des fourrées telle une furie. Elle se planta au milieu du chemin, les mains sur les hanches, et tonna :

« EOLIN HALON ! »

Les trois compagnons s'étaient arrêtés nets. Le fé s'avança et répliqua sur le même ton :

« ESYNDAÏ DÆGUA ! »

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