Chapitre XXV : Relations diplomatiques

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L'arbre se dressait face au guerrier. Il portait une armure qui semblait le tasser et son casque était orné d'une grimace menaçante. Une forte odeur de peinture fraîche se dégageait des opposants. Il foulait de ses pieds une terre grise et morte, se rapprochant dangereusement de son adversaire. Mais soudain il oscilla et bascula sur le côté, cloué au sol. Eolin soupira. Il redressa la figurine qui faisait la moitié de sa taille. D'habitude ils en utilisaient des plus petites mais leurs invités s'étaient pleins de ne rien y voir et ils n'avaient pas assez de loupes pour tout le monde. Ils avaient ressorti une vieille carte assez grande de leurs placards et avaient dû faire quelques corrections. Tous leurs hôtes avaient ressorti leurs vieux pions.

Le prince avait l'impression d'être dans un jardin d'enfants. Quand les autres étaient dans la salle il s'arrangeait pour n'avoir aucune pièces à déplacer. Non pas qu'elles soient trop lourdes pour lui mais elles l'étaient assez pour lui faire perdre sa dignité. Un toussotement le fit sursauter.

"Oh c'est toi... se reprit-il."

Celui qui venait de rentrer dans la salle était à peu près humanoïde. Il avait le bas du corps d'une chèvre et des petites cornes pointaient au milieu de ses cheveux hirsutes. C'était le faune qu'ils avaient ramené de leur expédition. Il s'était présenté comme Gaën Leod.

"Euuh... Ahem...

- Allons, parle ! soupira Eo.

- Et bien voilà. Je me demandais ce qu'on faisait maintenant ? demanda le faune visiblement anxieux. Ça va faire trois jours que je suis là maintenant et c'est pas que je m'ennuies mais..."

Le fé soupira profondément et s'assit au bord de la table.

"D'abord on attend qu'Im veuille bien sortir de sa chambre et après vous chercherez le dernier Gardien.

- "Vous" ? releva le nouveau.

- Je suis prince avant tout. Mon devoir est ici. Syn devrait faire pareil mais son lac est suffisamment loin pour que ses parents ne la rappellent pas à l'ordre. L'Arbre est la première ligne de défense des territoires magiques, nous ne pouvons pas nous permettre de tomber.

- C'est sûr que j'aurai pas pris un arbre comme première ligne de défense... lança Gaën. Plusieurs en rang pour faire une barricade peut-être mais là... Je divague ! se secoua-t-il. C'est aussi ma patrie et je veux participer ! Je ne me suis pas engagé dans l'armée pour mourir, me faire ressusciter et être inutile !

- L'état "mourir" n'était sûrement pas dans tes plans. Tuer des humains l'était sans doute plus, non ? fit le prince avec un air de danger dans la voix."

Un silence gêné s'installa entre eux. Le faune n'était qu'un fantassin lorsqu'il s'était fait tué par une avant-garde humaine. Puis il s'était réveillé nez-à-nez avec la métamorphe qui le regardait avec un air circonspect, se demandant si c'était bien le bon en regardant régulièrement dans le vide à côté d'elle. Il s'était retrouvé élevé au rang de Gardien mais Son Altesse Eolin Halon venait de lui signifier très clairement qu'ils n'étaient pas pour autant égaux.

Le fé royal était retourné à ses pensées sans plus se préoccuper du faune. Il était manifestement soucieux. Leur Gardienne de la Magie Originelle n'avait presque rien mangé depuis qu'elle était rentrée et refusait de voir qui que ce soit. Il pouvait comprendre que pour une jeune humaine non coutumière de la violence, ordonner ainsi la mort de quelqu'un puisse la choquer, mais trois jours ça commençait à être long. Sans être non plus habitué à au meurtre, dans son éducation princière on s'était bien gardé de lui cacher l'horreur de la guerre. Des morts il en avait déjà vu, et sans Alda pour les ramener à la vie. Même en dehors de la guerre, les humains n'étaient pas les seuls à avoir des personnes malades qui s'en prennent aux autres. 

Le faune était en train de se creuser la tête à la recherche de quelque chose à dire pour briser l'ambiance pesante lorsqu'un coup à la porte retentit dans la salle, venant à son secours. Une petite bleue surmontée d'un chapeau passa l'encadrure.

"Son Altesse Eolin ? demanda le dragonnet.

- C'est moi, se redressa le fé. De quoi s'agit-il ?

- J'ai un message pour vous de la part de Sa Majesté Ordnir Mestrala Grumondel de Haute-Roche, roi des Brûlantes et seigneur de Péridot."

En parlant, le petit dragon bleu lui tendit un rouleau de parchemin scellé du sceau royal draconien. Il représentait trois dragons couronnés et la cire utilisée était anormalement noire. Il n'y avait aucun doute sur sa provenance. Le fé rompit le sceau et déroula le papier.

"Votre Altesse Eolin Halon, prince du Bosquet du Clair-Obscur,

Vous avez déjà rencontré mon plus fidèle conseiller à Pænos et il a porté à mon attention votre quête des Gardiens de la Magie. Mes informateurs m'ont rapporté que seul demeurait inconnu le Gardien du Feu. Vous avez parcouru tout le continent sans jamais vous aventurer au nord. Que le Gardien manquant soit de ma nation serait des plus naturel. Je vous convie au premier jour d'hytmo au palais de Peridot pour vous aider à le trouver. J'espère que vos amis m'honoreront également de leur présence.

[...]"

Gaën regardait le fé plongé dans sa lecture. Il disparaissait totalement derrière le parchemin et c'était à peine croyable qu'il arrive à le porter. Il laissait tomber le bas du rouleau dans le vide au bord de la table pour ne pas à avoir à voler. Le prince poussa la missive de côté pour se retrouver nez-à-nez avec le faune et le dragon, suspendus à ses lèvres. Il observa un silence de réflexion. Allez dans les Brûlantes à hytmo était sans aucun doute le moins dangereux puisque la plupart des volcans du territoire cessaient alors leur activité et que la glace recouvrait ceux qui ne faisaient pas de pause. Il lui était impossible de savoir si les humains continueraient leur offensive. Le brouillard des marécages gelaient à hytmo et les traverser revenaient à traverser une mer de minuscules échardes de glace acérées. Une créature sans protection ne pouvait y faire 100 mètres sans être réduite en charpie. Sans compter que les créatures qui y vivaient n'étaient pas affectées par le changement de saison. Leur armée avait déjà commencé à traverser et il ne pensait pas qu'Orcrepture aurait envoyé ses troupes à une mort certaines. Ce n'étaient encore que des bataillons d'infanterie mobile qui s'occupaient de nettoyer la zone mais ils ne tarderaient pas à juger qu'il était temps de passer aux choses sérieuses. Ils testaient les lignes de défenses magiques avant des attaques éclair imprévisibles. Un conflit direct et particulièrement violent était à prévoir avant la fin du mois. Im voulait engager le conflit direct le plus loin possible de Mist, persuadée qu'Orcrepture avait la puissance de les battre s'ils attaquaient de front. L'inconvénient de cette stratégie était le nombre épouvantable de morts que cela entraînerait. Des milliers voire des millions de vies seraient sacrifiées. D'un autre côté, s'ils mourraient face à Orcrepture ce serait l'ensemble des créatures magiques périraient. Des millions de vies sacrifiées pour en sauver des milliards... Il voulait être là lorsque le conflit deviendrait sérieux pour diminuer les pertes magiques comme il pouvait. Il soupira. Il ne pouvait pas non plus convaincre Im d'attaquer sans les Gardiens au complet. Il se tourna vers le messager reptilien.

"Vous pouvez dire à Sa Majesté Ordnir que nous serons présents. Allez vous reprendre des forces avant de repartir."

Le dragon quitta la pièce en s'inclinant plusieurs fois devant Eolin. Lorsque la porte se referma, la faune prit la parole, révolté :

"Mais enfin pourquoi ?! L'armée est presque là ! Et nous on part ?!

- Si nous voulons épargner des vies, nous avons besoin d'être au complet, et s'il faut aller chez les dragons pour ça alors nous irons, asséna Eo sans appel."

Le premier jour d'hytmo était deux jours plus tard. Ça lui laissait autant pour préparer le départ de ceux qui voudraient l'accompagner (et accessoirement convaincre Emeo de les déposer).

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