Chapitre IV : Cinquième Tour

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Elles avaient réussi à prendre deux tickets de train pour les tours. Toutes les économies d'Im étaient passées dedans et elle s'inquiétait un peu de comment elles allaient acheter des provisions une fois à destination, ce qui n'était pas le cas d'Alda. Apparemment là d'où elle venait le troc était monnaie courante.

La gare était immense et Im crut mourir de peur plusieurs fois en ne distinguant plus Alda dans la foule. Contrairement aux autres bâtiments au sol, la gare était en parfait état, bien propre et soignée, dans un style assez ancien. Elle se trouvait en dehors des piliers magnétiques de la cité et il fallait à peine 10 minutes de marche depuis la dernière station de navette pour y être. Le train était le moyen de transport le plus rapide. Montés sur des rails magnétiques, les frottements étaient quasi-nuls et la locomotive pouvait franchir aisément le mur du son.

Alda avait fait le trajet jusqu'à Jalea en stop, ce qui était d'autant plus étonnant. De tous les gens qui l'avaient aidée, aucun ne s'était aperçu de rien. Alda expliqua assez rapidement la raison : ça ne faisait que quelques jours qu'elle maîtrisait la langue commune humaine. Avant les gens ne comprenaient rien à ce qu'elle disait, ils pensaient que c'était un patois d'une des petites îles du sud, ce qu'elle s'était bien gardée de démentir.

Le train filait à vive allure et Im ne distinguait qu'à peine les taches roses des prés de smourfs, ces boules roses poilues. Ces prés étaient très dangereux à traverser sans masque à cause de la fumée toxique que dégageaient les smourfs en explosant s'ils se trouvaient à moins d'un mètre l'un de l'autre. Si personne ne faisait rien pour les éradiquer c'était non seulement parce qu'ils étaient parfaitement immortels, se reproduisaient très vite en sautant, mais surtout parce que l'industrie du textile dépend presque entièrement d'eux. Si les smourfs sont résistants aux couteaux et autres objets tranchants, ce n'est pas le cas de leur fourrure douce, légère et très chaude. Le seul problème étant qu'un poil de smourf coupé change aléatoirement de couleur et bien entendu on ne peut pas les teindre, les pigments ne tiennent pas dessus. Un pull en poil de smourf uni valait donc une petite fortune.

"Hey ! s'écria Alda. Mais c'est des smourfs ! Je savais pas que vous en aviez aussi !

- Ils survivent au désert ?!

- Oh oui ! On en a des champs un peu partout, c'est pas rare d'en trouver qui se soient laissés ensevelir sous le sable... Ils sont vraiment.... comment on dit.... pas intelligent ?... On joue à TransforGloups quand on en trouve."

Alda lui expliqua les règles. Il fallait être au moins deux, chacun prenait un smourf puis fonçait l'un sur l'autre, l'objectif étant de se faire toucher les smourfs avant qu'ils n'explosent et avant que les joueurs ne soient obligés de se transformer en gloups pour échapper à la fumée. Le TransforGloups acheva de convaincre Im que les métamorphes étaient des tarés. Cela voulait aussi dire qu'ils étaient encore plus résistant que prévu si le gaz smourfique ne les tuait pas. D'après Alda cela les assommait juste pour quelques minutes.

Heureusement que le train était particulièrement rapide. Il ne leur fallut que dix heures avant d'apercevoir au loin la masse sombre et inquiétante d'une Tour. Alda commençait justement à ne plus tenir en place. Une heure de plus fut nécessaire pour atteindre la Tour alors que la nuit tombait. Les neuf Tours longeaient à partir de Lane la seule frontière du territoire humain. Leur destination était la Tour centrale, la cinquième Tour. C'était là où le marécage était le plus large mais d'après une carte qu'Im avait un jour consulté dans la bibliothèque, il y avait un point de repos au milieu ce qui au final divisait la distance en deux et en faisait le passage idéal. Enfin... D'après une carte que la jeune fille avait consulté il y a plus d'un an, qui datait d'il y a deux cents ans, qui était en miteux état... En bref, Im commençait déjà à regretter d'avoir insisté pour passer par ici. Il leurs faudrait une carte récente et faire confiance à ses souvenirs pour les guider à bon port. Après tout, les marécages ne devaient pas être si dangereux.... non ?...

La Tour était tout bonnement gigantesque. Ils avaient un jour étudié leur fonctionnement en cours mais sur le papier elles ne semblaient pas aussi impressionnantes. Des murs de plusieurs dizaines de mètres d'épaisseur, des cercles de contrôle d'accès tout autour, des armes à n'en plus finir, quelques canons magiques perchés sur en haut des 400m des murailles, les seuls outils magiques autorisés, des milliers de soldats, guettant aussi bien du côté des marécages que du côté des terres civilisées... Les deux amies se tassèrent sur leurs chaises. Le contrôle se passa sans encombre alors qu'Im pensait qu'à tout instant ils allaient s'étonner que deux filles de 17 ans se baladent en train jusqu'à une tour. L'intérieur de la Tour contrastait totalement avec la véritable armée qui grouillait dehors. Malgré l'heure tardive et la nuit qui était tombée, c'était littéralement la foire. Des spots géants éclairaient d'une lueur lugubre la foule de créatures en tout genre. Leurs sanglots déchiraient la nuit, se mêlant aux rires des badauds. Des marchands de partout se réunissaient dans l'enceinte fortifiée pour faire du trafic de créatures magiques. Elles n'étaient pas toujours systématiquement tuées, des fois c'était pire, elles étaient réduites en esclavage et envoyées dans les mine d'omnémum. C'est une roche translucide ressemblant très fortement à du verre. Le président Orcrepture les avaient toutes réquisitionnées et les mines lui fournissaient directement ce qu'elles extrayaient. Im ne pouvait s'empêcher de trouver ça louche... Quel intérêt pouvait bien trouver le président dans le contrôle du stock d'omnémum ?.... Mais pour le moment elle avait plus important à faire. Il fallait qu'elle trouve une carte alors qu'elle n'avait pas d'argent. Elle repoussa aussitôt l'idée d'utiliser Alda pour obtenir l'argent de la prime. La métamorphe regardait autour d'elle l'air effarée. Toutes ces pauvres créatures ! Enchaînée !

"Im ! Il faut faire quelque chose !

- Chuuuut, dis pas ça ici ! Je sais c'est horrible mais nous ne pouvons rien faire !"

Un remue-ménage se fit entendre au bout du marché. Les deux amies se firent pousser par la foule et avant d'avoir eut le temps de réagir elles se retrouvèrent plaquées contre une cage. Im perdit de vue Alda mais elle ne pouvait pas la chercher tout de suite. Des soldats poussaient sans ménagement les badauds. Une escorte armée jusqu'aux dents entourait un soldat portant une petite caisse. Im plissa les yeux pour mieux voir, si hissant sur la pointe des pieds. Une boîte mystérieuse comme ça, mais que pouvait-il bien y avoir dedans ?... Dès que le cortège fut passé les gens reprirent là où ils s'étaient arrêtés. Im s'avança au milieu de la rue pour suivre les soldats du regards. Un crissement sous ses pieds lui fit baisser les yeux. Une légère traînée de poudre scintillante s'était déposée sur la chaussée. Un claquement sourd à sa gauche la fit se retourner. La porte de la cage contre laquelle elle s'était appuyée plus tôt s'était ouverte et juste à côté, l'air fier de lui, un petit chiot avec une touffe violette sur la tête... Alda... Im se frappa le front... Et m...mince ! Elle pouvait pas se tenir tranquille pour une fois ?! Le chiot disparu dans la foule et Im s'éloigna prudemment de la cage. L'esclavagiste ne s'en était pas encore rendu compte. La porte s'ouvrit en grand. Une première patte se posa à l'extérieure de la geôle, faisant trembler le sol. La créature se redressa de toute sa hauteur en sortant. Un griffon. Un immense griffon. La foule commença à amorcer un mouvement de panique. Im s'en fut sans demander son reste.

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