Le pilote se mouvait avec discrétion entre les tables et les spectateurs. Une foule bruyante et compacte s'était regroupée dans la direction indiquée par le barman. Amarrée devant une espèce de cage aux barreaux tordus et distordus, elle se mouvait selon l'enthousiasme du public, ondulait sous l'excitation et écumait parfois de rage. Les encouragements et les invectives se mêlaient et se heurtaient. Ils répondaient aux coups portés contre le métal, se faisaient l'écho des rugissements et des plaintes.
Plus il se rapprochait, plus il devait jouer des coudes pour tenter de se frayer un chemin. Certains se contentaient de lui jeter des regards inquisiteurs du haut de leurs deux mètres, d'autres grognaient et menaçaient d'une main ostensiblement posée à la ceinture. Poe tenta de faire abstraction de la puanteur et du danger qu'il percevait même en dehors des coins d'ombres. Il ne se faisait pas d'illusion, il passait à peine dans le décor ambiant. Tout chez lui hurlait qu'il était un étranger. Comme dans la dizaine de lieux qu'il avait précédemment visité...
Un craquement sourd lui fit relever la tête vers les lourdes grilles. Ces dernières secouées sur leurs charnières grincèrent sinistrement. Les cris redoublèrent d'excitation. Il lui fallut un certain temps pour comprendre qu'ils s'agissait d'acclamer un vainqueur et que l'argent qui circulait était le résultat de paris. La foule s'écarta légèrement, comme si elle reprenait sa respiration. Poe en profita pour se glisser jusque devant le cube de fer. Ce qu'il vit lui glaça le sang.
Un colosse à la peau brunie, aux larges dessins gravés à même la chaire, d'une taille impressionnante et d'une musculature visiblement travaillée, gisait de dos contre les piques d'acier. Poe ne voyait pas son visage, mais il distinguait parfaitement l'odeur du sang. Celle qui imprégnait l'air et teintait le sol. Celle qui devait provenir en partie du gaillard dont la tête pendait mollement sur le côté.
Avant qu'il n'ai pu identifier la source de l'hémoglobine qui goutait, deux hommes apparurent, prirent le blessé, ou le mort, par les bras et le trainèrent jusqu'à une ouverture à peine distinguable dans le piège d'acier.
- Bien, bien. Mesdames et Monsieur, suivant la voix de ténor, les gains cessèrent de circuler. Il est temps de passer aux combats que vous attendez tous avec impatience!
La foule, comme assoiffée, s'agglutina de nouveau, en rangs serrés, autours de la cage d'acier. Sous la pression de la masse, le pilote se retrouva presque écrasé contre. Les spectateurs galvanisés hurlaient plus fort tandis que le ténor annonçait des noms qui se firent avaler par les ovations. Les paris reprirent de plus belle, à qui mieux mieux, à qui criait le plus fort ou faisait l'offre la plus alléchante. 10 contre 21. 100 contre 5. Agacé de la proximité des corps, des halètements et des souffles alcoolisés, des coups de coude brusques dans les côtes, ou des bousculades dans le dos, Poe n'avait plus qu'une envie : disperser la foule pour récupérer son espace vital. Il se demandait cyniquement si le barman n'avait pas fait exprès de l'envoyer se faire broyer par la foule, au moment où le nom du second chalenger fut révélé.
Une sorte d'hystérie collective explosa ses tympans. Les observateurs se mirent à battre le fer de leurs paumes, provoquant un écho sans fin et informe, et sa vision se limita soudainement au barreau juste devant ses yeux. Le résistant grimaça et décida qu'il en avait vu plus qu'assez! Il était prêt à retourner dire deux mots à l'homme de fer, lorsqu'une lourde silhouette s'encastra dans le grillage hérissé.
Enserré dans son ombre, Poe cilla perturbé de ne pas l'avoir vu arrivé. De ne pas l'avoir vu tout court. La créature, qui se relevait malgré les piques plantés dans sa chaire, était d'une taille imposante, impressionnante même. Encore plus grande que le colosse, encore plus épaisse, sa peau violacée était marquée par tant de veines qu'elle semblait prête à exploser. Les vaisseaux sanguins battaient en dissonance, au rythme propre de ses trois cœurs qui devaient rougeoyer dans sa poitrine.
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Unforgettable - Tome 2 (En pause)
FanficCertains disent que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Ceux-là devraient revoir leur manière de penser. Il y a des désirs si violents qu'ils ne peuvent être étouffés, des actions si inattendues qu'elle ne peuvent être effacées, et des crime...