Unforgettable - Tome 2 (En pause)

Chapitre 4 : Avis de tempête

- Il est conscient.

Les mots m'atteignirent sans que je ne les saisisse. Ils étaient un ensemble de syllabes que je ne comprenais pas, un amalgame de lettres qui ne voulaient rien dire, qui ne devait rien dire. Et surtout pas ce qu'ils sous-entendaient. Je fronçais les sourcils vers Lancelot, perplexe tandis que leurs échos parvenaient enfin à traverser l'étrange capharnaüm qu'ils avaient formé.

Ma pression artérielle augmenta. Mon esprit limpide s'embrouilla. Ce n'était pas une question, mais une affirmation. De celle de celui qui avait épié les réactions physiques de l'individu, pourtant immobile, sur mon sofa. Pure et dure, elle ne laissait pas de place au doute. 

Mon cœur battait dans ma gorge, intempestivement, longuement, presque douloureusement, alors que la silhouette du pilote se redressait devant moi. Avec horreur, mon regard glissa de mon compagnon vers celui d'un fantôme que je me serais bien gardée de croiser. Je me mordillais la lèvre nerveusement, sans même y penser, et les pinçais pour ne rien faire, ne rien de dire, ni ne rien penser de stupide.

Néanmoins, c'était peine perdu. Il n'avait pas changé. Poe n'avait pas changé. Il avait toujours la même tignasse rebelle, qui donnait l'impression qu'il venait tout juste de tomber de son lit, toujours la même peau dorée par le soleil et l'imagination d'innombrables chevauchées, et le même regard sombre. Grave, sérieux, mordoré, moqueur et inquisiteur, rassurant et pesant, chaleureux et froid. Celui qui me dévisageait à présent, me détaillait à la recherche d'un indice quelconque, me jaugeait et me donnait la sensation de ne redevenir qu'une chose fragile.

Le pilote demeurait égal à lui-même, avec la mine renfrognée qu'il arborait à chaque fois que je le contrariais, à chaque fois que je le décevais.

Je déglutis, mal à l'aise, et dus lutter pour ne pas détourner les yeux la première.

Poe était là. Et comme la première fois, plutôt dans la journée, cela me laissait une étrange impression. Entre l'effervescence du soulagement et le plomb de la crainte. J'appréhendais cette situation. Je l'avais toujours redoutée. Je m'en rendais compte alors que je me passais la paume sur le visage, pour me redonner contenance, me soustraire au moins quelques secondes au poids de son regard cerné où pointait son courroux. Je n'étais pas idiote, je pouvais au moins me targuer de cela. Et je savais que le résistant n'allait pas fermer les yeux et me laisser tranquille bien gentiment.

Il en était incapable.

- Salut, Haine.

Le prénom me laissa un goût de cendre sur la langue. Il était tellement sec sur ses lèvres, tellement dur dans sa bouche. Il n'avait plus rien de la pointe amicale, presque douce, qu'il avait pu lui donner la dernière fois. Je ne pouvais pas l'en blâmer, me rappelais-je en me redressant. Ce nom, ce n'était plus qu'un souvenir, qu'un bout de papier incendié qui craquait sous les flammes.

- Haine, hein? sourit narquoisement Lance.

J'inspirais, cillais et enterrais les battements de mon cœur sous la surface. Leur écho se noya, le flux ralentit, coup par coup, ridule par ridule, le calme revint. Rivant le méca d'un coup d'œil glacé, je lui fis passer l'envie de le prononcer à nouveau. Il n'avait pas besoin de me démonter et d'exposer ma mécanique pour le savoir. J'avais changé. C'était subtile mais perceptible, comme une ondulation à la surface d'un lac lisse. Je ne rigolais plus. J'avais repassé l'habit qui était le mien, celui qui m'allait si bien, celui de la chasseuse. De la Griffe.

- Tu n'as rien à faire là, Dameron.

Exit les sentiments, il n'y avait que la confiance froide en mes capacités, en ce dont je me savais capable pour l'avoir déjà fais, et en mon instinct rodé à la chasse, à paraître sans rien laisser filtrer.