2. C A M I L A

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Mon dernier patient parle, parle, parle depuis au moins 2h, j'étais censée finir à 19h30 et il est déjà 20h. Je continue de l'écouter en le conseillant parfois quand il me laisse en placer une bien sûr. Les gens qui ne sont pas ponctuels me désespèrent mais les gens qui abusent du temps des autres, eux, je peux pas me les voir, je perds patience. 

  - Monsieur Mauri. Il se stoppe dans son monologue alors que je soupire secrètement de soulagement. Votre séance est terminé depuis plus de 30 minutes, je vais vous demandez de garder tout ça dans un coin de votre tête et finir la semaine prochaine.

Il me regarde sans doute pour vérifier que je lui dis vraiment ce qu'il est entrain d'entendre. Ses yeux courent sur les traits de mon visage, cherchant a définir ce qui se passe dans ma tête.

  - Cessez de me fixer ainsi. Je le reprends alors qu'il sort de sa contemplation. Maintenant récupérez vos affaires, vous connaissez la sortie.

Il cligne des yeux avant de récupérer comme je lui ai demandé son manteau et sa petite mallette. Il me jète un dernier regard confus avant de quitter la salle alors que je m'écroule sur ma chaise, totalement épuisée. Je sens que ce week-end va être très long. Shawn va me prendre la tête je le connais depuis le temps. Je lève les yeux au ciel en pensant a ce qui va me forcer à faire, beurk. 

Je me redresse, rassemble mes vêtements et enfile mon manteau; entourant par la suite mon cou d'une écharpe. Je sort mes écouteurs, un peu de musique me ferait le plus grand bien, ce métier m'épuise ou c'est ce qui m'attend après, j'en sais rien sincèrement mais je suis épuisée. Je sors de mon bureau, salue mes derniers collègues restants et quitte l'endroit. Devant la porte, il y a quelqu'un dans les marches, assis une cigarette à la main, je regarde cette personne, elle, si c'est une fille est brune, on voit juste la fumée grise se distinguer à travers ses mèches. Je la contourne avant de me diriger vers ma voiture, je fronce les sourcils quand j'aperçois, coincer dans un des essuie-glace un papier de couleur. Plus je m'approche, plus je remarque que ce n'est pas un prospectus. Je décoince avec délicatesse le papier et le déplie, c'est un dessin. Je fronce les sourcils, ce sont deux yeux avec une phrase dessous disant:

"Les yeux voient tout, prends garde".  

Je rentre dans ma voiture plus que perplexe, qu'est ce que ça peut bien pouvoir dire ? Je vois avant de disparaître de la rue, la personne à la cigarette m'observer, comme si elle vérifiait que j'ai bien récupéré le papier. C'est quoi ce délire ? Je rentre rapidement chez moi, je vois la voiture de Shawn et soupire, je l'avais oublié. Je sors de mon habitacle en rangeant mes écouteurs, ils ne m'ont pas servis finalement, j'avais zappé que j'étais venu en voiture ce matin. Shawn me prend dans ses bras en souriant avant de m'embrasser avec son faux amour. Cet homme est un hypocrite, un manipulateur, il cherche à me faire souffrir. Il me lâche avant d'attraper ma main pour glisser ses doigts à l'intérieur, on se dirige vers chez moi, j'ouvre ma porte alors que je sens mon corps se faire écraser contre le mur et des lèvres se posées dans mon cou. 

  - Shawn.. Je murmure. J'en ai pas envie.. Je rajoute. 

Il continue ses caresses, ses mains se posent sur mes hanches, il me soulève, me plaquant encore plus au mur, je suis obligée de nouer mes jambes autour de ses hanches pour ne pas tomber. Je le sens aspirer ma peau alors que je le repousse violemment, mes pieds rencontrant de nouveau le sol. 

  - Je t'ai dit non ! T'es bouché ou quoi ?! Je hurle alors qu'une veine scinde son front en deux dû à son énervement.

Il s'approche de moi, là voilà la raison, il abuse de moi, me frappe, il se sert de moi comme un vide couilles, je suis une moins que rien. Il attrape violemment mon bras, le serrant si fort que je sens mon sang avoir de la difficulté à passer. Ses yeux sont si noirs que j'en prends peur. 

  - Va chercher tes affaires. Tu t'en sortiras pas comme ça. Il crache froidement.

Je déglutis et baisse la tête,  je suis faible, et voilà, ce soir, je serais nue, attachée et soumise et j'aurais mal, très mal et je devrais supporter cette douleur encore et encore. 


Je suis entrain de courir, dehors, dans le froid, le plus loin possible de Shawn. Mes pieds me font mal, je suis tellement loin de mon chez moi, que je sais que je ne peux rentrer ce soir en un seul morceau. J'aperçois un bar au loin, avec chance, j'aurais juste à me bourrer la gueule comme ça on me laissera dormir au chaud, à l'intérieur. Je marche difficilement jusqu'à là bas, mes pieds me font mal, quand je pénètre dans le bar, la chaleur et l'odeur m'agressent presque instantanément, ma tête est lourde mais je me dirige vers une table ou je m'écroule lourdement. Un serveur vient me voir, il est étrange, comme robotisé, son timbre de voix est si grave qu'il pourrait paraître rouillé. Je commande la meilleure boisson, ignorant totalement ce que ça peut être. Je regarde les gens qui composent la pièce, des hommes, des femmes, des danseuses, des serveurs, des vieux. Okay, ça m'a pas l'air fou mais je peux pas me permettre de repartir dans le noir au risque de me faire percuter. L'homme de tout à l'heure revient et me pose la boisson sur la table alors que je cherche désespérément mes sous dans mon sac, j'arrive à trouver un billet de 10, je lui tends et il l'attrape avant de le glisser dans la poche de son tablier avant de me jeter quasiment la monnaie au visage, très aimable. Je le vois disparaître dans la foule, bon débarras.

Je bois une gorgée de cet alcool rouge pourpre, il glisse dans ma gorge et je le sens immédiatement enclencher mon cœur alors que je soupire de plaisir, la dernière vraie cuite que je me suis fichue, je devais être encore au lycée alors ça date d'il y a quelques années déjà. J'ai le souvenir d'avoir toujours eu une bonne descente alors je le finis d'une traite et en commande un autre au robot de tout à l'heure.

Il est désormais presque 1h du matin et le nombre de client dans le bar à exploser. Une femme vient s'asseoir sur la banquette en cuir d'en face. Je la regarde, à cause de l'alcool je ne parviens pas à la reconnaître mais son visage me dit vaguement quelque chose. Je joue avec le fond de mon verre, le coude sur la table, je la regarde méfiante, serait-on jamais.

  - Bonjour Camila. Elle dit alors que je la fixe sans gène. Comment vas-tu ce soir ? 

Je continue de la fixer mais ça ne semble pas la mettre mal à l'aise.

  -Je suppose que je me porte plutôt bien. Je réponds.

  - Tant mieux.. 

Elle murmure autre chose que ne parvient pas à attendre, j'arrive seulement à distinguer un "longtemps". Je fronce les sourcils, perplexe mais ne dit rien. 

  - Qui es-tu ? Je finis par demander alors qu'elle descend son verre en une fois, impressionnant.

  - Une amie à Ally. Elle me répond tout simplement alors que je hoquette, elle me fixe de ses iris verts, elle part regarder le fond de son verre, jouant avec le liquide alors que je l'entends croiser ses jambes. Je me concentre sur elle, j'essaie de lire en elle, de chercher des réponses à ses mensonges. Elle a beau bien mentir, je le vois.

  - Je connais tous les amis d'Ally et je suis sûre de ne t'avoir jamais vu. J'affirme en continuant de la regarder même si son attention est ailleurs.

  - Je suis quelqu'un de discret. Elle dit pour simple explication.

Cette femme est étrange.

  - Et ton nom c'est quoi ? 

  - Je suis personne Camila et bientôt tu seras toi même personne.. Elle dit.

J'allais répliquer mais je sens une odeur échouée à mon nez, ma tête se met à tourner, elle devient lourde au point que je m'écroule au sol. Je vois la femme se pencher, remettre une mèche de mes cheveux, je vois ses lèvres bouger et j'entends cette même phrase.

"Les yeux voient tout prends garde"

Trou noir.

Regard. (Camren)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant