CHAPITRE 9 - EZECHIEL

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— Ta veste.

— Ma veste ?

Inutile de lever les yeux, je sais qui c'est.

— Tu l'as oubliée alors je te la rends.

Il me la tend mais je ne l'attrape pas tout de suite. Je décide enfin de lever la tête afin de croiser son regard, et je le fixe. Il est hors de question que l'on fasse comme si rien ne s'était passé, j'ai en horreur les faux-semblants. Et bien que le souvenir de nous deux dans cette salle de bain me gêne, il faudra en parler.

— Alec.

— Ezechiel, non.

Oh, si. Je délaisse mon carnet et mon crayon sur le banc du parc pour me lever et me mettre à son niveau.

— Tu m'as embrassé.

— Rectification : on s'est embrassés. Tu n'as pas dit non. Et puis qu'importe, oublions. On était tous les deux dans un sale état, ça ne voulait rien dire.

— Et donc ? Tu es venu me retrouver ici dans l'unique but de me rendre ma veste ? T'aurais pu me la donner quand on se croiserait.

— J'aurais aussi pu ne pas te la rendre du tout tu sais. Je l'aime bien, j'en ai toujours voulu une de ce genre.

C'est un simple blouson vert sapin acheté en friperie mais il est vrai que son côté vintage le rend attrayant. Il essaie tant bien que mal de changer le sujet, ça en serait presque mignon que la conversation l'embarrasse autant.

— Bon, et bien merci dans ce cas.

Sans plus de cérémonie je me rassieds et fais mine de reprendre mon dessin où je l'avais interrompu. Alec me rejoint en s'asseyant à son tour mais contrairement moi, il a choisi le dossier du banc pour poser ses fesses.

— Tu dessines vraiment bien tu sais.

Sa position lui confère l'entier accès à mon croquis et la légèreté de sa remarque me fait du bien après la petite discussion qu'on vient d'avoir. Et elle me fait aussi indéniablement plaisir.

— Tu embrasses vraiment bien tu sais.

À chacun son compliment.

Mais il ne répond pas et n'ayant pas tourné la tête pour lui répondre, je n'ai pas accès à sa réaction. Quand finalement je le fais, je découvre un Alec sidéré aux yeux écarquillés.

— Quoi ? Trop tôt ?

— Oui.

Le contraste entre nous est fulgurant : je ris abondamment de la situation tandis que lui, est terriblement mal à l'aise.

Et ça m'arrache une pointe de tristesse. Exactement ce que je ne voulais pas, que notre amitié change. Alec qui rigole de tout et rien, me regarde en ce moment avec le rouge aux joues, pour peu que sa peau bronzée puisse en laisser paraitre.

D'un côté je comprends son malaise, s'il m'avait rendu cette veste hier j'aurais adopté la même attitude que lui. Je l'ai d'ailleurs évité du mieux que j'ai pu et tant mieux puisque ce jour en plus m'a permis de relativiser davantage. Et je pensais qu'Alec aurait été tout aussi, voire beaucoup plus relax que moi vis-à-vis de cette histoire.

— Je voulais aussi te dire un truc, fin te demander...

— Mh ?

J'avais repris mon dessin car visiblement il n'était pas d'humeur à plaisanter mais le fait qu'il reste me chiffonnait. Au final, il a bel et bien quelque chose à ajouter.

— Je vois que t'en rigoles, c'est très bien hein... Mais si tu pouvais garder ça pour toi, s'il-te-plait ?

Ça m'étonne qu'il puisse penser que j'ai envie de le crier sur tous les toits. Je ne l'ai même pas dit à Kaylia, c'est dire à quel point je ne veux pas que ça se sache moi non plus. Pour qu'il me le demande, il doit vraiment être stressé.

— Nina, n'est-ce pas ?

— Nina rien. Je te demande juste de pas en parler. Bon, j'y vais.

Et il y va. Cette conversation me laisse évidemment un goût amer. Bien qu'Alec ait fait un pas vers moi via sa remarque sur mon dessin, il était figé et son naturel habituel avait déserté le garçon qui était en face de moi.

Embrasser son pote c'est bizarre, ok. D'accord. Mais ce n'est pas comme si on n'avait couché ensemble. Cette pensée m'arrache un frisson.

Alec et ses états d'âme on y pensera plus tard, j'ai assez donné. Il fera bien par se décoincer plus tard. Cette pensée, suite à l'autre, m'arrache un rire. Mais ça par contre, je n'en rigolerai pas avec lui.

Je le regarde à mesure qu'il s'éloigne du banc, de moi. Pour la première fois, je m'arrête sur sa silhouette et le détaille.

Il dépasse la plupart des gens qu'il croise. J'avais remarqué qu'il faisait la même taille que moi voire un peu plus grand, mais la différence est négligeable. Tandis que celle entre la taille de sa copine et lui est presque risible. Nina est si petite qu'on peut parler d'amour à longue distance.

Je n'avais pas osé faire cette réflexion l'autre fois et la voyant pour la première fois pour ne pas la brusquer, peut-être cela ne l'aurait pas fait rire et l'aurait même vexée. Mais après avoir passé quelques heures avec elle, j'ai remarqué que bien que petite du corps, elle est grande par le caractère. Et connaissant également Alec, leurs deux caractères qui se confrontent doivent créer des disputes de couple du tonnerre.

À mesure qu'il disparait à travers les arbres du parc Gauthier, c'est sur le papier que, s'intégrant parfaitement au décor, l'esquisse d'un Alec apparait.

HumainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant