Leslie m'a retrouvé dans le petit coin du campus que j'avais découvert il y a peu de temps. Nous sommes posés dans le lounge détente du bâtiment des sciences, il se trouve au troisième étage. La façade entièrement vitrée offre énormément de lumière en cette fin de matinée, mais également une vue assez jolie sur le reste du campus, avec le centre-ville de Montréal en fond. J'avais dû me trouver un nouveau spot intéressant étant donné que je ne pouvais plus me poser dans mon parc habituel, les températures fraîches s'étant installées.
À défaut de me retrouver au cœur de la nature, je l'observe d'en haut. Je peux ainsi la dessiner en y incluant tous ces éléments de vie que je remarque mieux de ce point de vue. Les étudiants quittant leur premier cours, ayant décidé de ne pas assister au reste de leur journée, le diablotin sur leur épaule gauche ayant remporté la partie. Ensuite, il y a ceux qui se rendent à leur première leçon, d'autres qui se promènent entre deux cours, et certains qui se motivent à aller étudier en bibliothèque.
C'est d'ailleurs vers celle-ci que Leslie se dirigeait avant de m'envoyer un message pour savoir si j'y étais déjà. Je lui ai donc répondu que non, en lui indiquant ma position si elle souhait quand même me rejoindre. J'avais eu cours ce matin mais l'avait déserté à la pause, le ton monocorde du professeur allait avoir raison de moi et de mon manque de sommeil. Ma nuit a été perturbée par des pensées et des réflexions aux conclusions dérangeantes qui ne manquent pas de polluer mon esprit jusqu'à maintenant. Le dessin n'a même pas réussi à me vider la tête. Leslie heureusement me change les idées, sa présence ayant été une véritable bénédiction. Elle est assise sur le fauteuil perpendiculaire au mien, celui-ci faisant face à la baie vitrée. Je tourne donc la tête vers elle quand elle réclame plus sérieusement mon attention.
— Dis, Ezechiel ?
— Hmm ?
— Tu dessines bien, tu fais des portraits ?
Les gens ne sont pas originaux. La plupart demanderont que tu les dessines quand ils remarquent que c'est une de tes occupations. Je ne dessine pas, ou presque pas, les gens. Du moins, pas en me concentrant uniquement sur eux. Comme par exemple là, ma feuille étant certes remplie de silhouettes, celles-ci n'y résident seulement parce qu'elles font partie intégrante du paysage. Ma seule œuvre représentant réellement le visage de quelqu'un c'est celle de Kaylia. Elle aussi m'avait très vite demandé que je la dessine au début de notre amitié. J'ai finalement cédé années plus tard, un peu avant son départ, une sorte de cadeau. Au final, c'est moi qui l'ai gardé, elle l'avait trouvé tellement beau qu'elle a exigé que je le garde pour que je ne l'oublie pas pendant qu'elle sera à Paris. Ridicule, puisque les photos existent et qu'on en a des milliers ensemble. Mais cette femme est têtue, alors j'ai gardé son dessin.
Toujours est-il que je vois déjà venir Leslie avec sa question alors je décide d'aller dans son sens.
— Merci, et oui j'en fais, dis-je innocemment.
— Oh, cool. T'en dis quoi de faire le mien ? répond-elle en adoptant une pose cliché de modèle.
— Pas de soucis, bouge pas !
Je tourne la page de mon carnet pour en découvrir une vierge et m'active. Quelques coups de crayon qui se veulent très précis, un visage à l'expression très concentrée qui se relève quelques fois pour réexaminer sa position, et voilà ! Je lui communique qu'elle peut reprendre une position normale et lui tend mon dessin.
— Wow déjà ! dit-elle, surprise.
— Ah, oui vraiment super, se reprend-elle après avoir vu la feuille.
Je ris face à son visage ayant changé d'expression en un instant. Ce que je comprends, puisque tout ce que j'ai dessiné c'est un bonhomme allumette mais accessoirisé d'une jupe pour bien montrer que c'est une fille qui est représentée. Un peu réducteur comme détail, je le concède.
Elle n'a pas précisé la précision dont devait faire preuve son portrait alors on peut dire que j'ai bien accédé à sa requête, non ?
— T'es sacrément drôle comme mec, assène-t-elle, amère.
— Merci, toi aussi t'es cool, dis-je en accompagnant mes paroles d'un clin d'œil.
Elle retourne à ses affaires, je ne sais pas exactement ce qu'elle fait. Elle est derrière son ordinateur à taper en continu. Je suppose qu'elle refait ses notes de cours ou qu'elle discute sur les réseaux sociaux.
— T'aimes bien les cookies ? me demande-t-elle de but en blanc.
— Qui n'aime pas ça ?
Elle fait mine de réfléchir avant de me répondre.
— Les serial-killers, certainement. On en fait ce soir il parait, tu veux venir ?
— Où ?
— Chez les gars.
Un frisson, très rapide et à peine perceptible, me traverse à l'entente de sa réponse. Je l'ignore et lui répond par la positive. Elle m'informe que c'est Nina qui lui a dit, Alec lui en ayant parlé hier soir. Cool.
— C'est nous qui allons les faire ou c'est Karim qui régalera et on n'aura qu'à attendre ? demandé-je.
Ils m'ont dit à l'anniversaire d'Alec, quelques mois plus tôt, que leur ami adorait pâtisser. Et connaissant mes compétences culinaires, je préfère la deuxième option. Ou bien celle où tout le monde met la main à la pâte avec moi qui observe. Ça, ça serait parfait.
— Toutes les fois où on a fait ça, Karim nous présentait sa recette en nous donnant à chacun une tâche. Mais il est un peu perfectionniste sur les bords alors il finit par tout faire tout seul, m'apprend-t-elle. Je me rappelle d'une fois où Loïc avait eu le malheur de mélanger trop vite une mixture. Karim l'avait viré de la cuisine.
Elle rigole en me racontant ça, se replongeant dans ses souvenirs. J'oublie souvent qu'ils ont eu une vie avant moi... Je plaisante. Plus sérieusement, c'est toujours très délicat de s'intégrer pleinement dans un groupe de d'amis pour qui l'amitié ne date pas d'hier. Mais ça fait quelques mois maintenant que je les connais et tout va pour le mieux. Je m'entends avec tout le monde, bien qu'ayant eu quelques conflits d'intérêts avec un certain brun aux cheveux bouclés.
— D'accord, je viens.
Je vérifie mon téléphone pour regarder l'heure et la communique à Leslie qui acquiesce quand je lui dis qu'il est temps de retrouver les autres. Nous sommes censés nous retrouver pour la pause de midi. Je range rapidement mes affaires tandis que Leslie fait de même en remettant son ordinateur dans sa pochette de protection.
On sort du bâtiment et ensuite du campus pour atteindre le fast-food en face de l'université. En y pénétrant, on remarque rapidement nos amis qui font déjà la file d'attente. En arrivant à notre niveau, je remarque directement qu'il manque Alec et scrute discrètement les alentours pour voir où il pourrait se trouver. Leslie semble avoir remarqué la même chose que moi puisqu'elle leur demande où il se trouve.
— Alec ? Il déjeune avec Nina, répond Loïc tout en observant la carte.
— Elle vient d'ailleurs tout à l'heure ? demande Linda
Karim lui répond que oui avant de se tourner vers nous pour nous parler de l'atelier pâtisserie, pensant qu'on n'a pas encore été mis au courant.
— J'ai ouï dire que tu étais un chef sévère, confié-je à Karim pour l'embêter.
— Qui a osé ? Je ne suis pas sévère, je suis passionné.
Leslie, Linda et Loïc m'adressent un regard qui me dit « tu verras ». Je suppose que j'en jugerai ce soir. Je risque certainement de les tuer, lui et sa passion, quand il me verra à l'œuvre.
Arrivés au comptoir, on commande tour à tour et récupérons ensuite nos plateaux pour se poser dans un coin de la salle. La conversation continue sur le sujet du perfectionnisme exacerbé de Karim concernant la pâtisserie. J'apprends d'ailleurs qu'il est nul pour cuisiner du salé, Alec étant plus doué dans ce domaine mais s'y adonnant rarement car il préfère toujours commander. Je ne l'avais jamais imaginé derrière les fourneaux.
— Moi, je me contente de manger, conclut Loïc.
Sa remarque nous amuse tous et on continue un peu de parler de tout et de rien tout en mangeant. Le repas terminé, nous débarrassons et sortons de l'endroit. Nous nous séparons en nous disant à ce soir, chacun étant attendu dans des endroits différents.
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Humain
RomanceEzechiel est un jeune passionné de dessin qui fait son entrée à l'université. Il se doutait qu'il allait découvrir un monde nouveau mais pas qu'il allait se découvrir lui-même. Son élément déclencheur ? Alec.