Alec a clairement trop bu. Je sens son poids peser contre moi même s'il s'efforce de se tenir droit. Je sais qu'il n'a pas exactement les idées claires mais ce qu'il vient de dire me cloue sur place. Je le fixe depuis un moment en attente de ce qui va suivre. Mais il ne dit rien, se contentant de me regarder avec cet air rieur dont lui seul a le secret.Il a dit qu'il m'a "vu" et à peine cela entendu je ne peux m'empêcher de penser à ce qui s'est passé un peu plus tôt, en début de soirée. J'ai cru, à tort, qu'il allait m'embrasser. Mais qui peut m'en vouloir d'avoir pensé ça ? Il m'a déjà embrassé sans raison aucune alors ça m'a traversé l'esprit que ça puisse se reproduire. Cette fois-ci j'ai eu l'impression qu'il me laissait réellement le choix de me défiler ou non.
Et je ne l'ai pas fait, je suis resté là à attendre. Maintenant, me voilà à attendre une nouvelle fois qu'Alec fasse quelque chose, qu'il dise quelque chose.
Mais il reste plongé dans son mutisme et j'ai carrément l'impression qu'il se fout de ma gueule.
— Je t'écoute ? Tu as vu ...?
— Toi.
— Oui, je suis là effectivement. Quand on arrive en haut tu vas boire un grand verre d'eau parce que là...
— Non, mais tout à l'heure.
On est en plein milieu de l'escalier et ça m'étonne que personne ne nous ait encore interrompus, je n'ai aucune idée d'où ils sont tous passés. J'aurais bien aimé que quelqu'un me permette d'échapper à cette conversation qui me met dans un embarras monstre.
J'interroge une nouvelle fois Alec du regard mais je l'entraine en même temps pour qu'il se remette à monter les marches car quitte à ce que je sois gêné, j'aimerais l'être dans un endroit moins exposé.
Alec est d'une lenteur effroyable, si bien que j'ai l'impression qu'il le fait exprès. Il se tait encore jusqu'à ce qu'on arrive dans le couloir des chambres et qu'il ouvre la porte de la mienne.
— Non, ta chambre est plus loin.
— Je peux rester un peu avec toi ? Je veux me reposer et Nina va beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup parler encore.
L'alcool rend à Alec un air si enfantin qu'il est impossible de lui résister. J'obtempère et le suit dans ma chambre et referme la porte derrière moi. J'allume la lampe de chevet qui éclaire faiblement l'espace avant d'aller vers mon sac pour en sortir une bouteille d'eau et de quoi manger.
— Tiens, prends ça t'en as bien besoin.
Entre-temps, il a enlevé ses chaussures et s'est assis sur mon lit. Je lui donne mon petit butin et me prend aussi une bouteille d'eau parce que je sais que j'en ai besoin, ayant énormément bu aussi.
Mais celui que je rejoins sur le lit est vraiment à un autre stade. Il s'est allongé et n'a pas touché à ce que je lui ai donné arguant qu'il est "trop fatigué".
— Allez, bois au moins.
Il secoue la tête en repoussant la bouteille loin de lui. Un enfant vraiment.
J'avance sur le lit à l'aide de mes genoux pour arriver à son niveau. J'attrape doucement son bras pour le forcer à se redresser et contre toute attente il obéit sans aucune résistance. Docilement, il s'appuie sur la tête de lit et attrape finalement la bouteille d'eau.
— On dirait ma maman.
— Très bien, obéis à maman alors.
— Je préfère t'appeler daddy.
Putain, c'est pas possible. Il a balancé ça tout naturellement avant d'enfin boire sa fichue eau. Je sais qu'un rouge vif a pris place sur mes joues, je n'arrive même plus à boire ma propre bouteille et encore moins à le regarder.
Il vient de balancer la phrase la plus suggestive et agit comme si de rien n'était.
Je n'ose plus rien dire, qu'est-ce que je pourrais ajouter de toute façon ? Absolument rien. Je n'aurais absolument pas dû l'amener dans ma chambre.
— Relax, Eze.
— Tu m'as vu faire quoi tout à l'heure ?
Je vois du coin de l'oeil, n'ayant évidemment pas encore réussi à le regarder à nouveau, qu'il se tourne vers moi. J'imagine qu'un rictus d'incompréhension orne son visage.
— Tu as dit que tu m'avais vu. De quoi tu parlais, Alec ?
— Oh.
Il rigole et moi je sens que je vais imploser. Il joue clairement avec mes nerfs.
— Je t'ai vu piocher dans les chips au fromage pendant qu'on jouait.
— C'EST TOUT ?
— Oui. Je savais que t'allais aimer.
Ce qui se passe n'a vraiment plus aucun sens. Sa réponse pitoyable a réussi à me faire tourner vers lui pour vérifier qu'il était sérieux. Il l'est.
— Tu m'as fait cogiter à mort pour ça ?
— Tu pensais à quoi ?
Je passe mes mains sur mon visage car je suis vraiment dépassé par la situation. Et puis, merde.
— Au fait que t'as fait semblant de vouloir m'embrasser dans la cuisine peut-être ?
Il est bourré. Il ne s'en rappellera pas au réveil, autant vider mon sac.
— Tu pensais que j'allais t'embrasser, Ezechiel ?
— Ne joue pas à ça. Tu l'as fait exprès.
— Tu n'allais pas goûter mes chips si je ne captais pas ton attention.
— Tu fais mine d'embrasser quelqu'un dès qu'il ne veut pas céder ?
— Ça a marché, non ?
Je souffle pour toute réponse, et il continue de boire innocemment avant de reprendre la parole.
— Pourquoi t'es resté ?
— Quoi ?
— Pourquoi t'as pas bougé ?
On arrive à la discussion que je redoutais tant, ayant imploré le Ciel pour que cette interrogation ne vienne pas à l'esprit d'Alec. Car, honnêtement, je n'ai pas de réponse. Mais il continue.
— La dernière fois tu m'as repoussé, mais aujourd'hui tu attendais que je t'embrasse. Pourquoi ?
Je ne sais pas quoi te dire Alec, c'est ça la réponse. Je voulais simplement voir où ça nous mènerait, je crois. Je n'en sais rien.
— Je n'en sais rien.
— Tu n'en sais rien ?
Je détourne le regard une nouvelle fois pour dissimuler ma gêne mais je sais très bien que c'est peine perdue.
— Regarde-moi.
C'est à moi d'avoir l'air enfantin maintenant, je lui réponds un petit "non" à peine audible. On est toujours côte à côte sur la tête de lit mais il s'est complètement retourné vers moi et je sens son regard brûlant sur mon profil.
— Ezechiel, regarde-moi et dis-moi pourquoi tu n'as pas bougé.
— Je te dis que je ne sais pas. Oublie ça, non ?
— Regarde-moi et avoue que tu voulais que je t'embrasse.
Je le regarde finalement pour l'analyser et vérifier que ce n'est pas l'alcool qui parle mais il a l'air étonnamment sûr de lui et de ce qu'il dit. Il me fixe de ses yeux qu'on devine encore clairs dans la pénombre faiblement éclairée.
Et je répète, son regard brûle chaque partie de mon corps mais je ne suis pas certain qu'une telle réaction physique soit scientifiquement expliquée. Je devrais poser la question à Alec, lui qui aime les sciences mais je pense que le moment n'est pas propice à ce genre de discussion.
Le fait est que je me sens me liquéfier sous le joug de ses iris flamboyants.
— Parce que moi, je voulais t'embrasser.
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Humain
RomanceEzechiel est un jeune passionné de dessin qui fait son entrée à l'université. Il se doutait qu'il allait découvrir un monde nouveau mais pas qu'il allait se découvrir lui-même. Son élément déclencheur ? Alec.