Bonshommes Bâton

Dessin V - Lundi

Le week-end avait été sujet à de nombreux rebondissements, et les trois amis avaient profité de tous, en partant du bon mètre de neige le samedi matin pour arriver aux rayons agréables du dimanche midi. Ils ne s'étaient pas ennuyé une seconde, redoublant d'imagination pour inventer toutes sortes de jeux avec tout ce qui leur passait par l'esprit. Seulement, la neige pouvant être meurtrière, Samy était cloué au lit avec une bonne fièvre, tandis que ses deux amis écopaient de simples rhumes.

Cyril, sortant de français, croisa son ami à qui il alla serrer la main, ne l'ayant pas vu depuis la veille. Inael l'attira à lui dans une accolade franche, puis lui lança qu'il devait le quitter, étant attendu chez le Conseiller Principal d'Éducation en charge de sa classe. Il s'enfuit sans demander son reste, laissant le brun bras ballants, au milieu du couloir. N'ayant plus rien à faire de ses quelques minutes d'intercours, Cyril se mit en route vers sa salle d'allemand, et pressa soudainement le pas en se disant qu'il pourrait vérifier son hypothèse quant à la classe le précédent le lundi. Il arriva donc parmi les premiers dans le couloir supérieur du bâtiment du fond, observant à loisir les lycéens quitter la salle dans un brouhaha amusé de fin de cours. Beaucoup souriaient, soulagés d'être débarrassés de cette matière, d'autres semblaient déçus, et un bon nombre d'entre eux tenaient à la main une feuille, signe qu'on venait de leur rendre des copies. Cyril grimaça, compatissant envers ceux qui avaient eu une mauvaise note. Monsieur Lambrecht était particulièrement intransigeant dans ses notations.

Cyril s'était placé de telle sorte qu'il voyait l'endroit où il était assis, et constata qu'une fille y rangeait ses affaires sans un coup d'œil au bord de la table. Des cheveux roux encadraient son visage fin et le jeune homme la trouva aussitôt jolie, mais détourna les yeux quand elle s'avança vers lui. Elle comptait parmi les derniers terminales à sortir, et Cyril reconnut parmi ceux qui étaient encore derrière elle un ami de sa sœur, qui avait deux ans de plus que lui. Il supposa que le garçon avait redoublé, et hésita, l'idée de lui parler filant dans son esprit.

Il n'osa pourtant pas, et adressa un signe de tête à son professeur qui le saluait en lui demandant d'entrer. Cyril s'assit en tailleurs sur sa chaise – ce n'était pas une position très confortable, mais c'était déjà mieux que d'être simplement les fesses sur le plastique froid – et n'attendit pas plus longtemps pour sortir sa feuille. Il ne fit même pas attention au fait que l'adulte n'avait pas fini l'appel, et repassa au stylo sur les traits hésitants desquels il avait marqué l'heure d'allemand des terminales avant lui. Il nota donc un T au milieu de la case, et griffonna en bas de sa page la description de la rousse qui était assise à sa place. Il ne pensait vraiment pas qu'elle était l'auteure des dessins mais, s'il s'avérait que c'était le cas, il ne regretterait pas de pouvoir se rapprocher d'elle.

En y pensant, il baissa les yeux vers le coin, constata que les deux personnages étaient à présent allongés dans la neige, probablement entraînés dans leur chute par leurs mouvements pour se maîtriser l'un l'autre. Cyril sourit en découvrant les traces insinuant les formes d'ange que les protagonistes avaient dessiné de leurs corps. Le jeune homme se demanda comment faire évoluer le dessin, l'inspiration l'ayant légèrement quitté depuis qu'il avait trouvé les deux bonshommes dans ces positions. Celles-ci lui rappelaient les journées entière qu'il avait passé, petit, à se rouler dans la neige jusqu'à ne plus pouvoir bouger tant il avait froid. Sa mère venait toujours le récupérer et le grondait en le ramenant dans le salon accueillant et chaleureux de leur maison. Un feu brûlait dans l'âtre, projetant ses ombres hypnotiques sur les murs, des plaids confortables permettaient de s'installer bien au chaud dans le canapé. Et, toujours, un chocolat brûlant l'attendait sur la table basse.

–Monsieur Billy, s'il vous plaît.

Cyril sursauta, releva la tête.

–Lisez la question trois, ainsi que votre réponse, reprit le professeur.

Devant l'air interrogateur de son élève, il crut bon d'ajouter :

–Mais si, vous savez ? Le travail que vous aviez à faire pour aujourd'hui... que vous avez bien entendu noté dans votre agenda et vous êtes empressé de terminer en rentrant chez vous.

Sa voix suintait l'ironie, et Cyril ne put s'empêcher de lever brièvement les yeux au ciel, ce qui lui valut une exclusion définitive de la classe. Il n'eut pas le temps de penser à se défendre que son professeur l'avait déjà mis dehors, ses affaires dans les mains. Le jeune homme, surpris, resta planté là un moment, avant de se rendre compte de ce qui venait de se passer. Alors, il constata qu'il devrait peut-être se mettre à travailler en LV2, s'il comptait retomber dans les bonnes grâces de son enseignant – chose qui semblait parfaitement irréalisable. De plus, il percuta qu'il n'avait pas répondu au dessin de la personne mystère, et jura entre ses dents.

Vous avez passé un bon week-end ?
Petit chapitre pour bien commencer la semaine, bon courage à tous !