Dessin III - Jeudi

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Cyril jura en voyant son bus s'éloigner, le laissant seul sous l'arrêt. Il insulta de tous les noms son réveil qui lui avait fait un tour de malice en ce matin d'hiver, le mettant en retard. Il tourna un peu en rond sur place pour retrouver son souffle et un semblant de calme, puis alla jouer avec la neige bordant la route. Ce jeudi était celui qui, une semaine sur deux, lui faisait avoir allemand. Et, pour une des premières fois, Cyril aurait presque été content d'y aller. D'une part pour voir d'éventuels nouveaux dessins sur sa table, et d'un autre côté car il respectait toujours les engagements qu'il se lançait à lui-même, et qu'il commençait à avoir sacrément envie de penser à la personne qui lui permettait de ne pas s'ennuyer pendant quelques minutes. En cours d'allemand : un exploit !

Il attendit une demi-heure pour avoir le bus suivant, les doigts, le nez et les oreilles complètement frigorifiées. Une fois au lycée, il se dirigea à grands pas vers sa salle de maths à laquelle il toqua en s'excusant immédiatement de son retard plus que significatif. Heureusement, étant un élève assez sérieux, il put entrer et prendre le cours en route. Sa voisine l'interrogea sur la raison de son arrivée tardive, il lui résuma la situation en deux mots puis tenta de comprendre ce qu'avait travaillé la classe en son absence, pour se raccrocher au wagon.

Le début de sa matinée se déroula sans plus d'accroc, il avait pu croiser ses deux amis à la pause, et ils s'étaient aussitôt moqué de Cyril dont les cheveux dissidents s'élevaient dans tous les sens. Y repensant, le jeune homme glissa ses doigts dans ses mèches sombres, tentant de les replacer comme il le pouvait. Ce qui se résumait à pas grand chose. Il était adossé au mur, dans le couloir, et attendait plus ou moins impatiemment l'arrivée de son professeur de langue. Celui-ci finit par se frayer un chemin entre les élèves agglutinés en groupes dans les couloirs, ou gisant assis au sol au bord de ceux-ci. Monsieur Lambrecht déverrouilla sa salle, incita ses élèves à y entrer et offrit un sourire moqueur à Cyril qui ne se gêna pas pour le lui rendre avec une pointe de satisfaction à la vue de la réaction de l'enseignant. Il tiqua, fronça imperceptiblement le nez puis les sourcils avant de retrouver son air avenant. Bel hypocrite.

Cyril se laissa tomber sur sa chaise au signal de l'homme au tableau, puis sortit de son sac quelques affaires. Ensuite, il appuya son menton sur la paume de sa main, portant son regard au-dehors. Son nom le rappela à l'ordre, il se souvint alors du devoir qu'il devait rendre ce jour, et poussa un soupir avant de partir à sa recherche dans sa besace. Celle-ci contenait monts et merveilles, c'était une vraie caverne d'Ali Baba. Cependant, c'était tout sauf des affaires de cours qui se trouvaient à l'intérieur : un bonnet usé jusqu'à la corde que Cyril adorait, son matériel à pharmacie, une bouteille d'eau glacée à cause des températures ambiantes, une enceinte ainsi que des écouteurs, et autres bricoles jamais véritablement inutiles. Il trouva finalement sa feuille, vérifia d'un rapide coup d'œil que son nom y était apposé, puis la tendit à son professeur qui lui lança un remerciement ponctué d'un « enfin » exaspéré.

Là, le cours put commencer et l'ennui arriva en même temps. Cyril observait le paysage recouvert d'un tapis blanc qui donnait envie de plonger dedans et jouer des heures durant sans s'arrêter. Disparaissant légèrement derrière le brouillard, les montagnes qui abritaient forêts comme stations de ski encadraient la vallée dans laquelle Cyril vivait depuis sa naissance. Elles étaient les gardiennes de la paix à laquelle il était habitué, des silhouettes parfois floues, mais surtout rassurantes et symboles de la routine. Le jeune homme aimait les rouages bien huilés, il appréciait ne pas avoir à se prendre la tête pour savoir ce qu'il allait faire de ses journées. Sa vie était tracée, et cela lui allait très bien.

Puis, alors qu'il repensait à ce quotidien qui était le sien, ses pensées dérivèrent vers le dessinateur des petits bonhommes sur la table. Il cligna des yeux, fronça les sourcils, puis tourna la tête vers le coin de la planche de bois. Là, le deuxième protagoniste de cette histoire qu'ils écrivaient à quatre mains se penchait pour éviter la neige lancée vers lui, et roulait à son tour une boule pour contre-attaquer. Cyril effaça son personnage, le fit se retrancher derrière un arbre pour former des réserves. Ensuite, il analysa le dessin. Il s'agissait probablement d'un garçon, vu le trait brut et peu assuré, ainsi que le besoin absent de détails. Peut être se trompait-il, mais le jeune homme penchait pour un dessinateur, et pas une dessinatrice. Il espérait avoir raison, comptant se faire un ami de cette personne.

Cyril savait que son professeur n'avait aucune classe de seconde, et qu'il n'avait qu'une terminale, ce qui faisait que les deux tiers des chances penchaient pour un élève de première, comme lui. La première étape serait donc d'en être sûr. Pour cela, il fallait qu'il trouve un moyen de savoir quelles classes l'homme avait eu entre ses cours de lundi et mardi, et si cela coïncidait avec le fait qu'il avait encore eu un dessin en ce jeudi. Ne parvenant plus à raisonner sans support visuel, le jeune homme sortit une feuille de son sac, y traça un tableau de fortune dans lequel il indiqua ses heures d'allemand. Il calcula par la suite combien d'heures de cours donnait Monsieur Lambrecht, à compter de trois heures et demi par semaine en première, contre trois en terminale. Arrivant à un total de treize heures et demie par semaine – l'homme enseignant également au collège – il tenta de se concentrer pour créer des suppositions. S'armant de crayons de couleur, il remplit quatre cases de légende,notant de son écriture penchée « moi » à côté du rouge qu'il avait répandu dans ses heures d'allemand.

Une fois son tableau fait, il resta longuement planté devant, ne sachant pas par où commencer pour déterminer quand le professeur donnait cours. Puis, il se souvint qu'il n'était au lycée ni le mardi, ni le jeudi à partir de respectivement treize heures et midi. De plus, il le voyait souvent ranger ses affaires à la fin de leur cours, le vendredi, ce qui indiquait qu'il quittait le lycée à cet horaire : quatorze heures. Il ratura ces périodes.

La cloche le surprit, il ne pensait pas avoir passé autant de temps à cogiter. Cyril glissa donc soigneusement la feuille dans le seul cahier qu'il avait sur lui et fourra ses crayons dans sa trousse. Le professeur était encore en train de donner les devoirs qu'il tira la fermeture éclair de sa besace, désirant fortement quitter cette salle pour rejoindre Samy qui, comme lui, avait deux heures pour manger. Dès que l'homme lâcha qu'ils pouvaient y aller, il se leva, enfila son manteau puis s'en alla avec un « Tchüss »marmonné dans sa barbe. Dans le couloir, il ferma son manteau pour ne pas geler, et s'élança au-dehors sans manquer d'aller faire quelques traces profondes dans la neige immaculée qui l'avait tenté par la fenêtre depuis le début du cours.




Petit aparté : écoutez en cours, l'allemand c'est important (apparemment)
A demain !


Bonshommes BâtonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant