- 6 -

2.8K 128 2
                                    

- Mon père a coupé les ponts avec sa famille. Il a plus ou moins renié sa culture en fait, ce qui a été une déception pour ma mère. Elle est partie quand j'avais 12 ans, elle s'est remariée à un bourge. Là on est quitte.

Ces yeux sombres pénétraient les miens. Je ne savais pas pourquoi j'avais ressenti le besoin de lui rendre la pareille, mais ça m'avait fait du bien d'évoquer mes parents. Je ne parlais jamais d'eux. Il conclut.

- Vous devriez faire sécuriser la porte de l'immeuble, c'est dangereux.

- Je sais me défendre ! répondis-je détendue.

Toujours ce sourire moqueur. Je le remerciai, puis il s'éloigna. La matinée passée avec lui avait été étrange, mais curieusement, je m'étais sentie bien. Je n'avais pas eu besoin de jouer un rôle, il ne m'avait pas reproché mes silences comme la plupart des gens que je fréquentais, il les avait même souvent appuyé.

J'étais souvent mal à l'aise avec les inconnus, et ces périodes de calme, voire de mutisme, m'aidait à appréhender la personne que j'avais en face de moi. Il s'en était plutôt bien sorti jusque-là.

23 heures, et le sommeil semblait toujours me fuir. J'avais l'habitude de me coucher tôt ces derniers temps, me complaisant allègrement dans une routine digne du troisième âge. Mais ce soir-là, mon corps semblait ne pas vouloir trouver le repos. Excédée, je décidais de le fatiguer, de le mettre à mal, de l'exténuer pour qu'il me laisse enfin sombrer.

Le premier pied à peine posé à terre, Boy fila dans la cuisine, le nez pointé vers le tiroir de gauche, où était sagement rangée sa laisse.

- T'es vraiment pas croyable toi, comment tu fais pour savoir ?

J'enfilai rapidement des chaussures, une grosse veste contre le froid du mois d'avril et ouvris enfin le tiroir. Boy, rassuré, se déchaîna autour de moi, surexcité par cette petite virée nocturne improvisée.

- Calme toi mon gros.

M'accroupissant, je clipsai le bout de corde à son collier, et nous étions partis au cœur de la nuit. Je marchais par instinct, trop occupée à essayer de vider ma tête comme si je pouvais la préparer au sommeil. Depuis presque midi, depuis le départ d'Hakim, toutes mes pensées s'étaient tournée vers cette photo, mon père et moi semblions heureux à cette époque. Quelle ironie. Le cliché avait été pris un après-midi au parc, une de nos seules sorties en famille. C'était le jour de mon anniversaire, un jour particulier qui avait motivé ma mère à accepter de se montrer en publique avec mon père. Ma mère, ce personnage étrange, plein de contradictions. Je me demandais ce qu'elle devenait. Non, je m'en foutais.

Mon père me manquait, ces yeux noirs posés sur moi, le regard toujours pétillant malgré l'obscurité de ses iris. L'image d'Hakim passa devant mes yeux. Non, ils ne se ressemblaient pas. En pourtant il y avait quelque chose d'extrêmement familier dans son regard. Pourquoi je pensais à lui en cet instant ? C'était un mystère.

Pourquoi je me retrouvais dans sa rue, c'était irrationnel. Je levai les yeux et vis de la lumière chez lui, il ne dormait pas. Il n'était pas beaucoup plus de 23.30, rien d'étonnant à ce qu'un jeune soit encore debout à cette heure. J'aperçus une silhouette par la fenêtre et détournai instantanément le regard : ce voyeurisme involontaire me plongeai dans l'embarras. Je n'avais jamais été curieuse, non, moins on en sait, mieux on se porte, c'est ce que j'avais toujours pensé.

J'accélérai le pas, Boy, de bonne volonté, voulut s'adapter à ma cadence mais dans son élan me tirai en avant sur une bonne vingtaine de mètres. Il s'arrêta enfin lorsque je heurtai quelque chose.

- Pardon, fis-je machinalement avant même de me retourner.

- Genre, c'est toi qui déclenche les embrouilles en vrai !

Et soudain...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant