- Pourquoi tu n'as qu'une photo de ton père ?
Il n'avait plus aucune pudeur quand il s'agissait de me poser des questions, il avait l'air de plus en plus avide à connaitre les moindres détails de ma vie.
- Parce que j'en ai pas d'autres.
Je m'arrêtai un instant avant de reprendre.
- Il est décédé il y a quelques années et ma mère m'a fait jeter toutes les photos de lui.
Il se stoppa net sous la stupeur.
- Comment ça ?
- Elle voulait le rayer de sa vie et il était hors de question que je ramène des souvenirs de lui quand j'ai emménagé chez elle.
- Vous ne viviez pas ensemble ?
- Elle l'a quitté quand j'étais jeune, mon frère et ma sœur sont allés vivre avec elle, moi je suis restée avec mon père.
Il ouvrit la bouche, incrédule, mais aucun son n'en sortit. Alors, je continuai.
- Ma mère est issue d'un milieu riche, papa haut placé, tradition catholique, enfin tu vois le genre. Elle, née en 61, 7 ans en 68, a été une ado un peu difficile, elle voulait se rebeller contre mon grand-père et faisait tout pour lui foutre la haine. Evidemment, plus elle poussait, plus il la retenait. Tout ce qu'elle voulait c'était se révolter contre lui. Son plus gros succès a été de ramener mon père, rebeu musulman, chez ses parents. Evidemment, ça a été la crise. Elle est partie avec lui et l'a épousé en secret.
Je repris mon souffle avant de continuer.
- Elle cherchait à s'émanciper du milieu fermé d'où elle venait, cherchait son « indépendance d'esprit » une façon comme une autre de renier son éducation bourgeoise. Peut-être qu'elle croyait même éradiquer cette sphère élitiste grâce au mélange ethnique. Peu importe au final quelle espèce de morale boiteuse et fugace lui a dicté ce pseudo don de soi, le plus important c'est qu'elle a épousé mon père.
La rage s'emparait de moi lorsque j'évoquais ma mère. La rage, le ressentiment, l'amertume, toutes ces variations du mépris.
- Ils ont eu trois enfants. Le début de leur relation se passait bien je crois, mais tout s'est dégradé petit à petit. Chassez le naturel, il revient au galop, elle a fini par se ranger du côté de mon grand-père. Elle a commencé à avoir honte de mon père, de sa couleur de peau, jusqu'à refuser de sortir en sa compagnie. Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de mes parents ensemble, et encore moins d'eux dehors.
En un regard, je vis qu'il avait compris pourquoi je tenais tellement à cette photo.
- Elle a fini par le tromper et partir avec un médecin. Tellement cliché, crachais-je avec morgue. Elle a eu un autre fils. Mes frangins l'ont suivie, trop heureux de pouvoir intégrer ce monde de dorures tout nouveau pour eux, alors que mon père se tuait au travail pour nous nourrir, lui et moi. Quand il est mort je suis allée chez ma mère et son nouveau mari friqué, mais je n'ai jamais pu lui pardonner.
Nous arrivions au parc canin et Hakim ouvrit silencieusement le portail pour me laisser passer.
- Tout ça, je le sais parce que j'ai retrouvé des lettres qu'elle avait écrites à mon père, correspondance qu'il avait soigneusement gardé dans une boite. Ce qui m'a fait le plus mal, c'est que cette boîte portait très clairement des traces de doigts, imprimés dans la poussière. Il l'avait ouverte plus d'une fois, et je l'imagine relire ses lettres sempiternellement dans l'attente qu'elle revienne un jour.
Hakim m'avait écouté d'une traite, me laissant déverser ma colère avec férocité sans jamais m'interrompre.
- Ben putain.
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Et soudain...
FanfictionCe n'est pas le temps qui compte, l'important c'est ce qu'on en fait.