Chapitre 20

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Daniel

Comme toujours, je m'étale sur le canapé, un exemplaire des Aventures De Tom Sawyer à la main. Ça a toujours été une habitude pour moi que de rentrer, poser mon sac et attraper un livre. Ça m'a souvent permis de m'évader de la réalité pendant au moins quelques heures, une chose qui a toujours été essentielle pour moi. Presque une addiction, si je puis dire.

Je suis en train de rire lors d'une énième bêtise de Tom quand la sonnerie de la porte se fait entendre. Sur le moment, je me fige mais reprends vite mon sang-froid et cache le livre sous le coussin poussiéreux du canapé, un réflexe que j'ai développé au fil des années.
Je déglutis et me lève à contrecoeur, faisant grincer le parquet au passage, pour ouvrir la porte en bois. Mes parents pénètrent le salon, empestant tous deux l'alcool.

Pour changer, ne puis-je m'empêcher de commenter mentalement.

Mon estomac se retourne et mon pouls s'accélère en un temps record. Je sais déjà ce qui va se passer. Et ce n'est pas parce que je peux voir dans le futur, croyez-moi. Mon père entre le premier, une clope étouffant entre ses doigts rugueux. J'essaie de me remémorer la dernière fois que je l'ai vu sans celle-ci à la main, tel un membre à part entière de son corps. En vain.

— Alors, Daniel, tu t'es bien amusé à rien branler de la journée ?

Il est soûl et ma mère hilare l'est tout autant que lui.

— On va remédier à ça, n'est-ce pas mon garçon ?

Je déglutis, trop nerveux pour ne serait-ce qu'ouvrir la bouche. Mes mains tremblantes échappent à mon contrôle, ce qui ne fait qu'empirer la situation. Ma mère le remarque et me ris au nez. Puis, elle retire la cigarette des doigts de son mari et en tire elle-même une longue bouffée avant de se tourner lentement vers nous.

— Tu t'en occupes aujourd'hui, Gabriel, feint-elle de chuchoter à son mari.

— Comme tu voudras, Sarah. C'est avec plaisir, de toute manière...

Maman sort de la pièce, me laissant seul avec l'homme qui sourit de toutes ses dents jaunies par le tabac. Quelle étrange familiarité émane de cette vision ! Comme celui-ci me domine de toute sa taille, je dois le regarder de bas et surtout dans les yeux, sachant que dans le cas contraire, ça finira encore plus mal que d'habitude. L'homme que j'appelle papa se frotte les paumes des mains l'une contre l'autre et je pourrais jurer voir des cornes pousser de chaque côté de son front ainsi qu'une queue apparaître dans son dos.

— Il ne reste plus que toi et moi, on dirait. Hein, le môme ?

Toujours sans lâcher son regard vitreux, je garde le silence, ne sachant si je dois répliquer quelque chose ou pas. De nature timide, je m'abstiens.

— Réponds-moi quand je te parle, idiot !

Mauvais choix.

En rugissant, il s'avance dangereusement vers moi alors que le teint de son visage vire brusquement au rouge sang.

— Viens ici ! Dépêche-toi !

Je m'exécute, les yeux déjà humides et le coeur au bord de l'explosion. Alors, le diable retire la ceinture de son pantalon et commence à me fouetter avec pendant que je garde mon t-shirt relevé, facilitant ainsi l'accès à mon dos bientôt rougi par les coups. Il va de plus en plus vite et chaque fois, il ajoute un peu plus de force que la fois précédente. Je crie au meurtre, priant intérieurement pour que la douleur cesse, mais rien n'y fait. Il frappe toujours. Encore et encore. Jusqu'à ce que je ne sente plus ni mon dos, ni mes bras, ni mes jambes... Jusqu'à ce que je n'arrive plus à pleurer, à crier, à respirer.

Jusqu'à ma mort.

— Réveille-toi, Dani ! Je t'en supplie, réveille-toi !

Je me redresse brusquement dans mon lit couvert de sueur, le souffle court et la tête pleine d'images d'un petit garçon violenté par son parent avant de réaliser une chose.

C'était moi, ce petit garçon.

Et putain, c'était pas un rêve, ça.

Je sens des bras frêles entourer mon cou, une tête s'y nicher et un corps se coller contre le mien. Il me faut quelques secondes pour réaliser que c'est Cameron qui me serre dans ses bras. Il est en pleurs et comme ni l'un ni l'autre ne portons de t-shirt, je peux sentir son coeur battre vivement contre le mien. Je lui rends son étreinte tout en lui caressant le dos dans le but de l'apaiser.

— C'est rien, Cam. Je vais bien. J'ai juste fait un mauvais rêve, d'accord ? Tout va bien. Arrête de pleurer.

Ironique que ce soit moi qui le rassure alors que je suis celui qui vient de faire un cauchemar, n'est-ce pas ?
Cameron renifle mais ne se calme pas pour autant. Il se décolle de moi et s'assied en tailleur sur le matelas.

— Oui, mais t'en fais toutes les nuits ! Et j'ai toujours peur !

— Je sais bien, Cam. Je suis vraiment désolé. Je ne voulais pas t'effrayer.

J'essaie de le calmer du mieux que je peux mais ses sanglots reprennent de plus belle et sa voix se casse quand il s'écrie :

— Mais j'ai pas peur de toi, j'ai peur pour toi !

Mon coeur se serre à l'entente de ces paroles.

— Viens là...

Comme toutes les nuits, je prends mon petit frère dans mes bras et l'apaise, lui promettant d'arrêter de cauchemarder, tout en sachant que ça me serait impossible. Et comme toutes les nuits, il s'endort dans mon lit et me laisse seul avec mes pensées, sans se douter une seconde que je ne me rendormirais pas.

***

Le téléphone assourdissant et affichant sept heures tapantes me sort de mes pensées. Comme prédit, je n'ai pas réussi à fermer l'oeil de la nuit, ce qui va définitivement me coûter cher... Cameron grogne et me tourne le dos, emportant l'épaisse couverture avec lui. Je me lève, la tête lourde, éteins mon smartphone et me dirige vers la salle de bain. Le reflet que me renvoit le miroir pendant que je me brosse les dents fait plutôt peur. Avec des cernes de trois centimètres sous des yeux gonflés, des cheveux décoiffés et un teint pâle, on peut facilement me confondre avec un mort-vivant. Durant la demi-heure qui suit, je fais tout mon possible pour être présentable et effacer toute trace d'insomnie de mon visage. Tâche devenue nettement moins difficile depuis le temps.

Je m'y suis habitué.

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Qui l'eut crû que Daniel se faisait battre par ses parents dans son enfance ? :( il me fait vraiment de la peine...

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Merci de votre lecture ❤️

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