Chapitre 23

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Brenda

La lumière que je pensais faible m'illumine au point où je dois enfouir mon visage dans le pli de mon coude. Je réalise qu'elle provient de différents éclairages suspendus au plafond, semblables à une pluie d'étoiles. Une fois mes yeux habitués à celle-ci, je peux enfin analyser ce qui se trouve devant moi. Les murs donnants sur la rue sont remplacés par des baies vitrées qui offrent une vue panoramique de la ville. Daniel, qui se tient au milieu de la pièce aux murs beiges, est entouré d'une guitare et d'un piano verni noir à queue. Celui-ci occupe presque tout l'espace de l'appartement étroit et sert de trône à un bouquet de marguerites.

— Daniel, cet endroit est incroyable ! J'en reviens pas...

— Tu aimes ?

Je hoche la tête, trop émue pour dire quoique ce soit. Personne ne m'avait jamais adressé un geste aussi attentionné de toute ma vie. Sans plus attendre, je m'avance vers la guitare qui semble me supplier de pincer ses cordes.

— Je peux ?

Daniel sourit et se décale pour me laisser prendre place sur la chaise de piano. Il s'assied par terre en tailleur et commence à me fixer de ses yeux glaciers. Mes doigts ne font qu'effleurer les cordes de la guitare, par peur de l'abîmer. Daniel le remarque, puis fronce les sourcils et me jette un regard désapprobateur.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Je... Daniel, cette guitare est magnifique, mais...

— Alors, joue ! Qu'est-ce que t'attends ?

Je lâche un soupir avant de placer mes doigts avec précaution sur le manche et jouer avec délicatesse. Aussitôt, une douce mélodie se fait entendre. J'espère que Daniel reconnaîtra le morceau, ce qui n'a pas l'air d'être le cas, pour l'instant. Les premières notes de « The night we met » de Lord Huron résonnent dans la pièce. Mes yeux se ferment afin de me permettre d'apprécier pleinement ce moment. Malheureusement, quelques chansons plus tard, une sonnerie de téléphone brise l'harmonie des sons que mes mains créent. Daniel sort de sa béatitude et commence à tâter ses poches.

— Merde, désolé. Je l'éteins. Juste une seconde.

— C'est pas grave, vas-y.

Il finit par extraire l'appareil de la poche arrière de son jean et fixer l'écran. Je vois ses yeux s'écarquiller et les traits de son visage se contracter. Au lieu de l'éteindre, il décroche.

— Excuse-moi un instant. Je reviens tout de suite, d'accord ?

— Euh... oui, pas de problème.

J'espère vraiment que ce n'est rien de grave.

Il ferme la porte d'entrée derrière lui et me laisse seule, plongée dans le silence lourd de cette pièce ayant perdu tout son charme après son départ.
Livrée maintenant à moi-même, la curiosité s'empare de mon esprit.

À qui parle-t-il ? Il a peut-être un problème ? Et si c'était grave ? Je dois savoir ! Non, c'est pas bien d'écouter aux portes... bon, juste pour cette fois.

La décision est vite prise. Tout en collant ma joue à la porte et croisant les doigts pour que Daniel ne se doute de rien, je me concentre pour entendre tout ce que je peux. Heureusement (ou pas) pour moi, j'arrive à déceler quelques bribes de phrases comme "tu te fous de ma gueule ?", "recommencer ça", "tu me déçois" et "pas le moment".
À un moment donné, je crois entendre un prénom qui m'est vaguement familier.
En effet, je ne suis pas en train de rêver. Il a bien dit les mots suivants : "D'accord. J'arrive, Morgan".
Là, c'est certain : cette soirée est un fiasco.
Mon coeur rate quelques battements tandis que je me sens glisser au sol, dos contre le mur. Mes yeux semblent s'humidifier, pourtant, aucune larme n'en sort. Soudain, un bruit de claquement me fait sursauter. C'est Daniel qui ferme la porte. Aussitôt, son regard dévie vers moi et s'emplit de ce qui semble être de l'inquiétude. Il sait que j'ai entendu.

— Brenda, je suis désolé. Il faut que j'y aille. Mais c'est pas ce que tu crois...

— Pourquoi tu devrais aller la voir ? Je pensais que c'était fini entre vous.

Il soupire et place son index et son pouce sur le début de l'arrête du nez.

— Bien sûr que ça l'est. C'est juste que... c'est une urgence. Je ne peux pas t'en dire plus. Je suis désolé, Brenda. Il faut que tu me fasses confiance, sur ce coup là.

Le pourrais-je ?

— Non.

Daniel se fige.

— Comment ça, non ? Je pensais que tout allait bien entre nous d...

— Je me disais bien que t'avais pas complètement coupé les ponts avec elle.

J'ai été stupide de penser qu'il allait rompre avec sa copine pour tenter sa chance avec moi.

— Je n'aurais jamais dû accepter ce rendez-vous, grommelai-je.

L'expression qu'affiche Daniel est indéchiffrable. Il paraît calme, mais qui sait ce qu'il se trame dans sa tête ? Il ne réagit pas, ne dit rien jusqu'à ce que je me lève pour récupérer mes affaires.

— Tu penses que tu peux me pardonner ?

Je soutiens son regard.

— Je peux te pardonner, mais je ne peux pas oublier.

Il prend sa tête entre les mains.

— Je... je sais que je déconne, là... mais tu dois absolument me faire confiance. Tu ne peux pas me laisser tomber comme si j'étais rien !

Je n'arrive pas à croire qu'il essaie de me faire culpabiliser, alors que c'est lui qui se comporte comme un crétin avec moi.

— Daniel, c'est toi qui me traîtes comme si je n'étais rien, lui reprochai-je, verbalisant mes pensées. Alors, c'est bien beau tout ça, dis-je en parcourant la pièce de ma main. Mais au fond, je sais que c'est elle qui importe à tes yeux.

Pourquoi ai-je tant de remords et de peine a l'idée de terminer quelque chose qui n'a même pas commencé ? Aurais-je pris sur moi seulement pour ses beaux yeux ?
Les voilà, ces larmes tant attendues. Elles brouillent ma vue et menacent de couler au moindre faux mouvement.

— C'est vraiment ce que tu penses ?

Je ne peux qu'hocher la tête, trop déçue pour émettre le moindre son.

— Peut-être que t'as raison, alors. C'était une erreur.

Elles ruissellent maintenant en silence. J'attrape mon téléphone posé sur le piano, à côté des marguerites.

Mes fleurs préférées.

Son côté attentionné n'est qu'une façade, à ce que je vois. Sans un regard de plus pour lui, je me saisis de la poignée de porte et sors de la pièce, emplissant au passage mes narines d'une dernière senteur de romarin.

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Serait-ce une fin de relation entre Daniel et Brenda ? Que veut-il à tout prix lui cacher, quitte à gâcher leurs chances d'être ensemble ?

Vous le découvrirez bientôt :)

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Merci de votre lecture ! ♥️

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