Chapitre 1

19 2 0
                                    

« Les souvenirs sont les enfants du hasard. Seuls les truqueurs ont leur mémoire en ordre. »

- Daniel Pennac


Éléonore s'entraînait à tirer ses précieuses flèches dans des cibles en bois placées en quinconce. La jeune femme se trouvait dans son Atelier privilégié, comme elle l'appelait, qui surplombait la vallée du Royaume de Loreïa. Depuis les temps anciens, Galïa, son royaume, et Loreïa étaient alliés. Unis par le Pacte de Gallö, chacun devait défendre l'autre. Toute trahison engendrerait automatiquement une guerre sans pitié.

Cette vue imprenable saisissait à chaque fois Éléonore. Tous les jours, elle ne pouvait s'empêcher de regarder avec admiration la forêt verdoyante en contrebas, traversée par une rivière dont l'eau était aussi claire que le ciel. Elle s'y sentait bien, calme et concentrée à la fois. L'horizon, lui, cachait d'autres royaumes, d'autres forêts, d'autres endroits où elle n'était jamais allée. L'océan bordait Galïa, ainsi que chacun des royaumes de ce vaste continent nommé Nefessy. Éléonore était la princesse du royaume de Galïa. Et l'injustice d'être née femme l'empêchait de faire ce qu'elle voulait. Explorer les eaux et les montagnes, les plaines ou les bois, lui était formellement interdit.

Chacune des cibles qui lui faisaient face avait déjà été atteinte par quelques flèches. La jeune femme, tout en se déplaçant de gauche à droite, visait les hommes de bois qui semblaient l'attaquer. Celui du milieu avait même un bouclier pour parer les projectiles qui viendraient sur son torse. Malheureusement pour lui, depuis qu'elle était petite, Éléonore s'entraînait à tirer à l'arc. Et depuis quelques mois, elle s'exerçait quotidiennement, passant des heures à envoyer valser ses amis immobiles. Elle devait acquérir de la puissance et de l'agilité pour pouvoir vaincre les ennemis de son royaume. Tennesia. Ennemis depuis la nuit des temps, Tennesia et Galïa étaient dans une guerre perpétuelle qui ne cesserait jamais. Surtout depuis la mort d'une centaine de soldats galïens lors du dernier affrontement il y avait six mois et cinq jours exactement. Éléonore savait pertinemment qu'aux yeux de tous, sa place n'était pas au combat. Mais peu importait, cette rage qui l'animait surpassait la pensée commune.

Après deux heures d'acharnement, alternant le tir à l'arc et le corps à corps avec des sacs de sable en toile de jute, Éléonore décida de s'arrêter. Quelques gouttes de sueur perlaient sur son front et sa respiration était devenue plus rapide. Mais en voyant toutes ses flèches plantées dans le corps des cibles, elle fit un sourire narquois avant d'aller les récupérer. Elle progressait. A une vitesse fulgurante.

Le roi Skalias se tenait sur le balcon de la chambre de sa fille, donnant sur l'Atelier. Il la fixait depuis plusieurs minutes, voulant s'assurer qu'elle allait bien. Il savait déjà la réponse. Le sourire qu'elle lui lançait quand ils discutaient sonnait faux. Il n'y avait plus la même lueur qu'avant dans ses yeux bleu acier. En plus de cela, Skalias ne comprenait pas son acharnement à l'entraînement, son goût pour les armes, pour la guerre. Sa petite fille de seulement vingt ans voulait combattre. Pourquoi ? Ne lui proposait-il pas une vie tranquille et sans danger au palais ? « Je ne veux pas de cette vie ! » lui avait-elle craché un jour, alors qu'ils se disputaient. Éléonore affirmait que son seul désir était de devenir une puissante guerrière. Ça le désolait.

En pleine réflexion, Skalias passa sa main sur son menton dissimulé derrière une barbe brune et dense. Mais il fut vite interrompu par la voix familière de son bras droit, Troy :

— Mon roi ?

Skalias ne se retourna pas. Il regardait encore sa fille qui avait les yeux braqués sur ses cibles :

— Même caché dans la chambre d'Éléonore, tu arrives à me retrouver. J'espère que c'est important, finit-il par dire, un sourire aux lèvres.

BetrayedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant