Chapitre 22

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« Dans ce monde de noirceur qui m'enveloppe, dans cet univers de solitude, dans cet immense écroulement obscur où je suis, dans cet effrayant tremblement de moi et de tout, j'ai un point d'appui, le voilà. C'est lui. --C'est toi. »

- L'homme qui rit, Victor Hugo

Éléonore ravala ses larmes comme elle put, malgré cette petite voix qui venait lui rappeler une réalité insupportable : Troy était mort, parti, à jamais. La jeune femme, dans cette course acharnée, ne faisait même plus attention à la douleur dans ses jambes. Son pouls augmentait au rythme de sa peur grandissante et ses inspirations étaient courtes, saccadées. Un point de côté survint rapidement mais peu importe, elle courait. Tout ce qu'elle voulait, c'était sortir de ce cauchemar. Éléonore donnait tout ce qu'elle avait pour aller aussi vite qu'Alrick. Elle serrait d'une main le manche de l'épée galïenne et de l'autre, la main du seul allié qui lui restait. Leurs doigts s'entremêlaient, incapable de se séparer. Ils ne s'étaient pas retournés pour ne pas perdre de temps. Mais ils savaient pertinemment que trois tennesiens les suivaient de près. Et parmi eux, il y avait ce monstre qui lui avait pris son meilleur ami. Cette idée fit déglutir de rage Éléonore. Une larme s'échappa alors de son œil pour finir par s'écraser sur le sol. Cette tristesse infinie de ne la quitterait jamais.

Mais elle n'avait pas le temps de penser à ça. Ressaisis-toi, cria la voix. Faire abstraction de ses sentiments et courir pour échapper à la mort. Elle ne devait se focaliser que sur ça. Mais la mort se montrait aussi déterminée qu'elle. Elle se tapissait dans l'ombre, là, et là, dans chaque recoin de ce couloir interminable et menaçant. A chaque pas, la princesse craignait que quelqu'un ne surgisse de nul part. Les armures alignées, lances en main, semblaient s'animer, prêtes à les attaquer.

Ils arrivèrent enfin au bout de cette allée, plus sombre que les autres. Un immense tableau représentant Eroz assis sur son trône leur faisait face. Un frisson parcouru le corps entier d'Éléonore lorsqu'elle croisa son regard. Ils avaient désormais le choix entre tourner à droite ou à gauche. Alrick et Éléonore arrêtèrent de courir un instant, tournant leurs têtes dans chaque direction.

- La trappe ! Elle est là ! cria Éléonore en pointant du doigt le couloir de gauche.

Tout au fond, une légère discontinuité marquait le sol. Ils allaient enfin pouvoir s'échapper du palais.

Éléonore serra la main d'Alrick un peu plus fort et se remit à courir. Mais son bras fut retenu. Le jeune homme, statique, la regardait d'un air grave.

- Qu'est-ce que tu fais ? Ils ne vont pas tarder à nous rattraper ! le réprimanda Éléonore.

- Vas-y, je les retiens.

La jeune femme écarquilla les yeux. Qu'est-ce qu'il racontait ?

- Quoi ? Non, on y va ensemble !

- Non, Éléonore, répliqua-t-il d'un ton des plus sérieux. Si on y va tous les deux, on ne pourra pas s'en sortir. Il faut que quelqu'un les ralentisse.

- Alrick, je ne te laisserai pas !

- Dépêche-toi. Fais-moi confiance. Cours le plus vite possible, et ramène l'épée à ton père.

- Je... Al...

- Éléonore ! hurla Alrick en lâchant la main de la princesse qui était complètement désemparée.

Mais alors que des larmes montèrent jusque ses yeux, elle se retourna et commença à courir de nouveau. Elle ne sentait plus ses jambes. Elle se repassait en boucle cette scène avec Alrick. Elle n'avait plus personne. Elle était esseulée. La peur fit battre son cœur plus fort. L'adrénaline monta d'un cran dans tout son corps. Elle essuya ses pleurs d'un revers de la main et serra encore plus fort Gablïan. Elle ne devait désormais penser qu'à son devoir : ramener l'épée dans son royaume. Mais comment oublier qu'elle venait de perdre son meilleur ami et l'homme qu'elle aimait ? Elle se retourna promptement avec le fol espoir de voir Alrick au loin, mais il avait déjà disparu. Le couloir était désert, vide d'humanité. Elle aussi, était vide. Comme six mois auparavant, lorsqu'Eroz avait pris son frère. Elle allait redevenir un automate. Sa vie serait seulement nourrie par un esprit de vengeance.

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