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Lorsque nous revenons dans le bâtiment, je vois que Mathieu et un autre manquent à l'appel. Je ne dis rien, et m'installe par terre, toutes les places étant occupées. Le dénommé "bigo" vient s'installer à côté de moi, et me regarde.

— Toi t'es amie avec le polak ?

— Euh bah oui, pourquoi ?

— On dirait pas. Vous avez l'air proches, quand même.

— Je le considère comme mon meilleur ami, et pour moi c'est normal d'être proche de son meilleur ami.

— Venant du polak ça m'étonne un peu qu'il soit juste pote avec toi.

— Les apparences sont trompeuses. C'est comme toi, je pourrais très bien dire que t'as la quarantaine passé vu tes cheveux blancs, pour autant je sais que c'est pas le cas sinon tu trainerais pas avec tout ce petit monde.

Son petit sourire en coin quitte son visage, et Mohamed et Ken se moquent ouvertement de lui. "Bigo" se renfrogne rapidement, mais un sourire vient éclairer son visage.

— J't'aime bien toi, t'as pas l'air de tout le temps l'ouvrir, mais t'as une bonne répartie. Moi c'est Mikaël, mais appelles-moi Deen.

— Laisse-moi deviner, ton nom de scène ?

Il hoche la tête, et j'empoigne mon grec afin de croquer dedans. Le fait de ne pas manger le matin ouvre considérablement l'appétit, peut-être même un peu trop. Je vois que je ne suis pas la seule, puisque pratiquement tout le monde a déjà entamé son repas.

Mathieu et l'homme manquant entrent dans la pièce peu après, et mon ami part s'installer à côté d'un grand noir. Je ne sais pas ce qu'ils se disent, mais le noir sort un pochon de sa poche, et le passe à Mathieu. Ce dernier s'éclipse alors, et je hausse les sourcils.

Je ne dis rien, je préfère en parler directement à Mathieu lorsque nous serons seuls, je n'ai pas envie de créer d'histoire avec ses amis.

Je sens le regard de quelques personnes sur moi, et relève la tête.

— J'ai une tâche sur le bout du nez ?

— Tu dis rien ? me demande le seul blond.

— Dire quoi à propos de quoi ?

— Bah, Mathieu. Il est parti péta un teh et tu dis rien ? intervient Ken.

— Je sais très bien qu'il fume et qu'il vend, qu'il risque de se faire arrêter à n'importe quel moment. Mais j'ai rien à dire. Je suis sa meilleure amie, pas sa copine. La seule personne qui peut dire quelque chose techniquement, c'est l'un d'entre vous. Or, vous ne pouvez rien dire non plus.

— Et pourquoi on ne pourrait rien dire ? gronde un grand barbu.

— Pour la simple et bonne raison que ça serait l'hôpital qui se fout de la charité. Si le grand là, je connais pas son nom, il a de la beuh sur lui, c'est pas lui qui va faire la morale à Mathieu. Et je suppose  que vous fumez tous, ou que du moins la grande majorité d'entre vous touche à ça. Donc vous fumez, et vous allez lui dire quelque chose ? Il va se foutre ouvertement de vous.

— Alors dis-lui quand même quelque chose, toi.

— Ça servirait à quoi ? Il devait fumer bien avant qu'on se connaisse, et je pense pas que Mathieu soit le genre de gars à arrêter ses conneries pour une fille, que ça soit son amie ou sa copine. S'il veut fumer, qu'il fume. S'il veut vendre, qu'il vende. Mais s'il se fait griller en train de fumer ou de vendre, alors c'est bien fait pour lui, il connait les répercussions qu'il peut y avoir.

Je reprends mon grec et continue à manger, dans le plus grand des silences. Je sais que Mathieu est rentré entre temps dans la pièce, mais je ne vais pas pour autant revenir sur mes propos. Qu'il fume ou qu'il vende n'est pas mon problème, ça n'est que le sien.

**

L'ambiance de l'après-midi était beaucoup plus légère, tout le monde riait et parlait. Certains passaient dans la cabine pour enregistrer. Ken y est beaucoup allé, sachant qu'il prépare son premier album solo.

Nous sommes partis sur le coup de dix-sept heures, après que j'ai récupéré le numéro de certains des gars, et promis que je reviendrais à l'occasion. Nous sommes rentrés dans un silence pesant. Je sais que Mathieu doit m'en vouloir un peu de ne pas avoir "pris sa défense" par rapport à la fumette tout à l'heure, mais, soyons francs, je ne vais pas le défendre alors qu'il consomme et vend des stups. C'est débile, illégal, et malsain. Il sait dans quel pétrin il se fourre et il le fait quand même, ne comptez pas sur moi pour le remettre sur le droit chemin.

Je sors de la douche, et ai mis un simple jogger ainsi qu'un t-shirt ample rentré dedans. J'attache mes cheveux mouillés en un chignon, et retourne dans la chambre de Mathieu. Ce dernier est à la fenêtre. Sans un mot, je me glisse à ses côtés, et regarde les gens dehors. Certains courent, d'autres marchent. Des enfants jouent, d'autres pleurent, d'autres crient.

— Tu m'en veux ?

— Non. J'peux pas t'en vouloir. T'as raison.

Je tourne la tête vers lui, et il recrache la fumée de sa cigarette.

— J'sais que fumer et vendre c'est d'la merde. Mais c'est de l'argent facile, c'est toujours une rentrée d'argent supp et ça fait du bien à la maison. Mamie elle croit qu'j'ai un p'tit boulot après les cours, et elle est fière de moi. J'veux pas la décevoir. Et j'veux pas te décevoir non plus.

— Tu ne me déçois pas, Mathieu. Je l'ai dit, tu fais ce que tu veux, c'est pas moi qui vais pouvoir te faire changer d'avis ou autre.

— T'sais, j'fais vraiment des efforts sur ma façon d'être et de faire les choses. T'es une bonne influence pour moi, et j'comprends pas trop pourquoi tu traines avec moi alors que y'a mieux.

— Parce que toi, t'es pas comme Jeremy. T'es pas un gars qui parait bien et qui, au final, a des vices. Toi, ton vice, c'est juste de fumer. Et il est apparent. Puis t'es mon polak à moi, et je tiens à toi.

Je pose ma tête sur son épaule, et il passe son bras autour de moi.

— T'sais, j'peux pas te promettre d'arrêter la beuh, mais j'peux essayer de la diminuer. J'ai pas envie que tu t'casses de ma life parce que j'bédave. Et si faut que j'diminue ma conso, bah j'le ferai. Si faut que j'arrête de bicrave, bon là j't'avoue ça va être chaud de ouf mais j'peux essayer.

IdioteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant