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Après avoir parlé un long moment avec Ken, j'ai décidé de repartir chez Odeta. Je voulais prendre le métro, mais j'ai décidé d'y aller à pieds. Le temps de me calmer, sécher mes joues imbibées de larmes, et de réfléchir à comment aborder le sujet avec Mathieu.

Rien ne vaut de rentrer dans le vif du sujet directement, mais il est capable de se braquer, de s'énerver, et de ne plus vouloir m'adresser la parole pendant quelques jours. Néanmoins, je n'ai pas envie de lui passer de la pommade pour ensuite avoir le fin mot de l'histoire.

Je vais donc faire comme j'ai toujours fait, et aller droit au but, que ça se finisse bien ou pas.

Il y a plus de chances que ça finisse en combat de coq et en crise de larmes qu'autre chose, mais on verra bien.

Une fois arrivés, je retourne voir Odeta. J'ai la gorge nouée, encore, et les larmes sont prêtes à couler à nouveau. J'ai une sensation étrange dans le ventre, j'appréhende. Mais au fond, je sais que la conversation va mal se finir. C'est pourquoi j'ai tenu à parler à Odeta avant d'aller parler à Mathieu.

Je ne veux pas souffrir.

Face à Odeta, elle lève la tête vers moi et me sourit. Son sourire fane lorsqu'elle voit mon visage, qui doit être blême, et se lève pour me prendre dans ses bras. Je pleure à nouveau, sachant que je n'aurais peut-être pas l'occasion de la revoir de sitôt. Je ne la reverrai peut-être jamais, qui sait.

— Oh, ma Louna.. Dis-moi ce qui te met dans un tel état.

— Je.. Je ne peux pas, Odeta. Je vais aller parler à Mathieu, et je risque de repartir aussitôt après. Je voulais juste que tu saches que.. Que pour moi tu es comme ma grand-mère, que je suis ravie d'avoir pu te connaître. J'espère que tu garderas cette forme olympique que tu as encore longtemps, et que tu ne cesseras en aucun cas d'être la personne géniale que tu es.

— Pourquoi me dis-tu tout ça, Louna ?

— Parce que c'est la vérité, dis-je en m'écartant d'elle. Ma mère m'a toujours appris à dire ce que je pensais, et sans prendre de gants. Je t'ai dit ce que je voulais te dire, je vais faire de même avec Mathieu, et advienne que pourra.

Elle comprend alors qu'il y a un souci, et m'adresse un sourire triste.

— Sache, Louna, que tu es et seras toujours la bienvenue ici, quoiqu'il puisse se passer entre vous. Tu fais partie de la famille, ma fille.

Je lui souris et essuie mes joues grossièrement, et rejoins Mathieu dans sa chambre. Il a l'air contrarié, et lorsqu'il me voit, ça ne s'arrange pas.

— Bordel t'étais où ? Et pourquoi t'as éteint ton téléphone ?

— Tu m'aimes ?

Il paraît étonné que je lui pose la question.

— Bah oui, pourquoi tu me demandes ça ?

— Dis-le moi.

— Oui, je t'aime Louna.

Je saisis les affaires que j'avais laissé en plan, et les range à la va-vite dans mon sac.

— Tu fous quoi ? J'croyais que tu devais rentrer que demain.

— Assieds-toi, Mathieu.

— Pourquoi ?

— Assieds-toi, s'il te plaît.

Il obtempère non sans rechigner, et je finis par faire de même, instaurant une certaine distance entre nous.

— Approche-toi un peu, nan ? J'suis pas tombé..

— Est-ce que tu as des sentiments pour moi ?

Je le coupe, posant la question qui me brûle les lèvres depuis cette nuit. J'ai la tête baissée, il n'a pas encore vu que j'ai passé la matinée à pleurer, et ça m'arrange.

— Hein ?

— As-tu des sentiments pour moi ? Es-tu amoureux de moi ?

— Euh.. Bah ouais, normal quoi.

Je ris jaune.

— Tu mens. J'ai lu ta conversation avec Ken, je sais que je n'aurais pas dû, mais.. Ça m'intriguait. Et.. J'ai été le voir ce matin. On a parlé de ton comportement envers moi, et il a relié ça à lui. Il m'a expliqué comment il était quand il était plus jeune. Quand il avait notre âge.

— Et alors ?

— Il était amoureux. Fou amoureux. Et il s'en est rendu compte lorsqu'elle est partie, car elle n'en pouvait plus. Et je n'ai pas envie de faire pareil. Je n'ai pas envie de partir pour que soudainement tu ouvres les yeux et que tu te rendes compte que, en fait si, tu as des sentiments pour moi ! Je mets trop de moi dans cette relation, c'est à sens unique, et je n'en peux plus.

Je sens son regard noir sur moi, et je me décide à le regarder pour la première fois aujourd'hui. Mes larmes se sont remises à couler, mes yeux sont rouges et me brûlent, mes joues sont inondées, et je ne prends même pas la peine de les essuyer. Il semble étonné que je pleure, mais je continue à parler.

— En trois mois, disons quatre, j'ai passé plus de temps à m'inquiéter à ton sujet qu'à mon sujet. J'ai fait en sorte d'être une copine idéale alors que je ne savais même pas comment agir. Je me suis donnée à toi, je t'ai avoué que je t'aimais, et ce n'est pas rien. Je n'ai jamais dit à qui que ce soit "je t'aime", sauf à toi. Mais j'ai l'impression que ce n'est pas assez. Quoique je fasse, c'est pas assez à tes yeux. J'ai dix-sept ans, j'ai pas le temps de me prendre la tête dans une relation à sens unique, où je suis la seule à faire des efforts. En trois mois j'ai rencontré tes amis, j'ai vu à quel point le rap te prenait aux tripes, à quel point c'était ta passion. Je me suis lié d'amitié avec tes amis, j'ai commencé à apprécier le rap de tes amis pour pouvoir apprécier le tien à sa juste valeur, je t'ai confié ma vie, ma virginité, tout ce qui comptait pour moi. Et en échange, quoi ? Tu doutes de tes sentiments envers moi ? Tu ne sais pas si tu en as ? Je ne peux pas te forcer à en avoir, et je ne peux pas me forcer à rester avec quelqu'un qui ne sait pas ce qu'il ressent pour moi. Je mérite mieux, et je n'ai pas envie de souffrir.

Je me lève alors, récupérant mon sac, et le laissant abasourdi. Je vois qu'il va pour ajouter quelque chose, mais je l'en empêche, prenant la parole avant lui.

— Je t'aime. Je crève d'amour pour toi. Je suis amoureuse de toi. J'ai des sentiments pour toi. Je conçois que tu ne montres pas ce que tu ressens, tout le monde ne peut pas être expressif. Mais.. Mathieu, on n'a pas été très longtemps ensemble, et pourtant, tu ne me regardes plus comme avant. Ton regard a perdu cette lueur d'amour. Peut-être as-tu perdu les sentiments que tu ressentais à mon égard, peut-être n'en as-tu jamais eu. Je ne sais pas, et je ne veux pas savoir. J'ai juste été idiote de penser que tu m'aimerais autant que je peux t'aimer.

Les larmes coulant toujours autant, je lui adresse un dernier sourire, un dernier "au revoir", et sors de sa chambre. Je sors ensuite de l'appartement, puis de l'immeuble, pour la dernière fois.

IdioteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant