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Le lundi, alors qu'Emma a l'air de me parler de quelque chose d'important, je suis perdue dans mes pensées. Normalement, cet après-midi après les cours, nous sommes censés aller au commissariat porter l'enregistrement. Or, nous finissons à dix-sept heures, et je suis censée être chez moi avant dix-huit heures, ma mère m'ayant instauré un couvre-feu en semaine.

— Oh, tu m'écoutes ?

— Non, j'étais en train de réfléchir à quelque chose.. Dis, tu peux me couvrir le temps de la dernière heure ? Tu dis que je suis à l'infirmerie ou je sais pas quoi, mais je dois aller quelque part.

— Tu comptes sécher ?

— J'ai pas trop le choix, c'est assez urgent.

— Les filles au fond, on se tait, gronde le prof.

Je soupire, et suit le reste du cours. Lorsque la sonnerie retentit, Emma m'alpague.

— C'est quoi au juste ?

— Je dois aller au commissariat avec Lesram, Elyo et Ormaz.

— Mathieu est au courant ?

— Non, et j'espère qu'il se le sera pas. Juste.. Couvre moi, s'il te plait.

Elle acquiesce, et le reste de la journée se passe assez bizarrement. Je sens qu'Emma se retient de me poser des questions sur le pourquoi du comment, et pourquoi Mathieu ne doit pas être mis au courant.

Alors que la sonnerie de seize heures retentit, j'envoie un message aux gars pour leur dire qu'on y va maintenant, et adresse un regard à Emma.

— Mathieu ne doit pas être mis au courant pour la simple et bonne raison qu'il y a déjà été mêlé, et que j'essaie d'arranger la situation justement. Deen et Ken, ainsi que les autres, vont être mis au courant aussi, donc pas de soucis là dessus. Tu me donneras le cours ?

— Oui, à condition que tu m'expliques toute l'histoire demain.

— Pas de soucis. À demain, et merci.

Elle me fait un signe de la main, et je sors du lycée, rejoignant les gars devant.

— Tu vas sérieusement sécher ?

— Oui, mais j'ai dit à Emma de me couvrir, et vais appeler ma mère pour la prévenir.

— Hm. Mais elle va pas te demander pourquoi t'es au comico ?

— Si, et je lui expliquerai rapidement s'il faut, en expliquant tout ce soir en rentrant.

— Hm. Bon allez go.

Nous nous mettons en route, et j'appelle ma mère.

Louna, je suis en réunion. C'est important ?

Oui, je vais au commissariat avec les amis de Mathieu, par rapport à Damien et à ce que je t'avais raconté.

— Maintenant ? Alors qu'il te reste une heure de cours ?

— Maman, je n'ai pas trop le choix. Je ne sais pas pour combien de temps j'en aurais, j'ai préféré sécher une heure plutôt que de rentrer après six heures.

Hm. Tu m'expliqueras tout ce soir, Louna. C'est confus ton histoire.

— Oui maman, à tout à l'heure.

Elle raccroche, et Lesram me raconte quelque chose que je ne comprends pas tellement.

**

À peine rentrée chez moi, peu après dix-huit heures, ma mère m'interpelle.

— Louna Deslys, dans le salon immédiatement.

Je grimace, et constate qu'Adam s'y trouve aussi, la tête baissée. Ma mère a un air grave, et Philippe arbore une mine déçue.

Il a tout raconté avant que je ne le fasse.

Je le fusille du regard, et regarde ma mère.

— Adam a déjà tout dit, non ?

— Je veux ta version. C'est vrai que le soir où tu es allée chez Mathieu, il est venu ?

— Oui. Et Mathieu s'en est mêlé. Il a frappé Damien, l'a menacé de représailles si jamais il s'approchait à nouveau de moi.

— Et ensuite ?

— Ensuite on est rentré chez Odeta avec Elyo, Ormaz, Assaf et Mathieu. Assaf nous a dit qu'il avait un plan pour faire tomber cette pourriture, et le plan c'était qu'il ne s'en mêle pas.

— Mais encore ? Quel était ce fameux plan ?

— Qu'on l'invite à une soirée d'excuses, entre guillemets. On le faisait boire, il avouait tout ce qu'il a fait à Flavie, ce qu'il m'a fait, et on allait porter l'enregistrement à la police au plus tôt.

— Tu te rends compte de l'inconscience de tes actes, Louna ? demande mon beau-père.

— À vous entendre on aurait pu croire que j'étais seule avec Damien samedi, soupiré-je. Si Adam a bel et bien tout dit, il a dû expliqué qu'il y avait Elyo, Ormaz et Lesram, et qu'ils l'ont viré de l'appartement d'Ormaz après qu'on ait eu tous ses aveux.

— Ça relève de la stupidité, ajoute ma mère. Louna, je ne t'ai pas élevé comme ça. Tu me déçois.

Je me pince l'arête du nez, et soupire.

— Maman, j'ai dix-sept ans. J'ai été violé par le frère de mon amie qui abusait d'elle, tout comme son père. La justice n'a jamais rien voulu faire pour elle, il n'y a eu aucune enquête d'ouverte pour savoir les causes de son suicide soudain. J'avais espoir qu'avec cet enregistrement ils se bougent le cul, certes un peu tard, mais que justice soit rendue, aussi bien pour Flavie que pour moi.

— Et c'est en invitant un violeur à une soirée que tu pensais que c'était la meilleure solution pour obtenir ce que tu voulais ? C'est décevant venant de toi.

— T'auras fait comment toi, hein ? T'aurais laissé couler ? Il est revenu dans ma vie, merde ! Il est revenu et j'ai pris peur. J'ai peur de le croiser chaque jour parce qu'il est capable de tout pour m'enfoncer, et pour enfoncer Mathieu. J'ai pas fait ça que pour moi et Flavie, mais pour Mathieu. Il veut l'envoyer au placard, et il réussira s'il le veut vraiment. Alors j'en ai rien à foutre que ça soit inconscient ce que j'ai fait, mais au moins j'ai réussi à obtenir une enquête sur le dossier Flavie Moulin. Et c'est la meilleure chose que j'ai pu faire en dix-sept ans.

Je regarde ma mère, et lui tends mon téléphone.

— Tiens, le code c'est 2710. Vas dans les enregistrements audios, et écoute le seul qu'il y a, qui dure plus de cinq minutes. Écoute-le, et ose me dire que j'ai eu tord d'agir inconsciemment. Pour une fois que j'agis pour le bien de la communauté en voulant faire en sorte que quelqu'un paie, ça te convient pas. Quoique je fasse, ça convient à personne en ce moment. Je sociabilise ? Mathieu n'est pas content. Je force la justice ? Maman n'est pas contente. Philippe n'est pas content. Je dis à Emma que j'ai une affaire urgente à régler ? Emma n'est pas contente. Vous êtes jamais contents, quoi que je fasse. Allez vous faire foutre.

Je récupère mon sac, posé au préalable, et pars m'enfermer dans ma chambre, n'hésitant pas à claquer la porte.

IdioteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant