Chapitre 8

29 4 0
                                    

Calypso faisait les cent pas dans l’épaisse forêt qui séparait le village de son manoir. Elle frappait une branche de chêne qui lui battait le chemin, et donna un coup de pied dans un cailloux, tout en se mordillant les doigts. Que diable devait-elle faire ? Le coeur battant la chamade, elle s’arrêta.

Stephen va mourir ! Tu tiens enfin ta vengeance ! lui soufflait son une voix ténébreuse' tout droit sortie des profondeurs de son esprit. 

Mais Jefferson sera terriblement déçu de toi… 

Déçu ? Sera-t-il vraiment déçu ? Oh oui, et même furieux. Pire, il sera atterré. Et elle détestait le voir triste. Elle s'en mordit les phalanges. Elle fit volte-face. Non, elle allait enfin faire payer Stephen des atrocités qu’il a commis, il était hors de question qu’elle renonce si près du but. Elle ne pouvait pas libérer Jefferson, ce serait empêcher son ennemi de mourir. Mais une fois qu’il serait enfin mort… ? Allait-elle garder Jefferson avec elle pour toujours ? Mais il la haïerait pour le meurtre qu’elle aurait commise. Sauf… 

Elle s’arrêta. 

Sauf s’il n’en sait rien. 

A cette pensée, mille voix vinrent tourmenter son esprit. 

Calypso, ce n’est pas bien, ce que tu fais. 

Regarde-toi, tu es pitoyable. Tu es mauvaise. Comment as-tu pu tomber aussi bas ? 

Penses-tu sérieusement que ton père aurait voulu que tu le venge de cette manière ?

Son père ? Mais son père n’était plus là… Il avait été assassiné par Stephen. Elle devait donc assassiner à son tour Stephen. Alors, son pèreserait venger.

Quand on te fais tomber, la meilleure vengeance n’est pas de riposter ; mais de se relever. 

Elle s’effondra au sol et, alors que pas une larme n'était sortie de ses yeux sombres depuis bien trop longtemps, elle se laissa aller aux sanglots du désespoir. Son père lui répétait toujours cette phrase. Il savait que les plus forts ne sont pas ceux qui frappent, mais ceux qui encaissent les coups. 

- '' Mais je ne suis pas forte, papa… ''

Elle sanglotait, la voix tremblante, épuisée et perdue, saccagée par ses sentiments d’amour et de haine. Elle se maudissait de se soucier ainsi de Jefferson. Elle se haïssait pour s'être laissée avoir aux sentiments d'amour...
Elle redressa la tête. Non, elle ne l'aimait pas. Elle essuya son visage d’un revers de manche brusque. Elle réfléchit quelques instants. Elle ne pouvait pas faire marche arrière. Pas maintenant. Cependant, son ventre se nouait chaque fois qu’elle imaginait le regard atterré de Jefferson lorsqu’il apprendrait. Alors, elle choisit de se taire - de moins, pour l’instant. Elle devait le voir. Elle devait voir Stephen. Mais elle ne pouvait pas le faire si Jefferson était présent ; les liens du sang sont si forts qu’il devinerait facilement ce qu’il se tramait. Enfin. Elle avait une idée.

Elle ferma les yeux et regagna son manoir.




- '' Jefferson ? ''

Il était réveillé depuis peu, mais regardait déjà le soleil se lever. Il aimait observait le soleil. Depuis le temps, Calypso l’avait appris. Et son endroit préféré pour voir l’aube était près des écuries - le manoir étant construit sur une petite hauteur, on pouvait y voir la forêt et même les feux des cheminées du village le plus proche. 

Il se retourna calmement quand il entendit son nom.

- '' Jefferson. ''

Elle le rejoignit rapidement pour venir à côté de lui. Elle observa un instant ses yeux glacés. Elle se souvint de la première fois qu’elle l’avait vu. Cela semblait remonter à si longtemps… Le souvenir du parchemin lui frappa la mémoire. Elle se râcla la gorge. 

- '' J’ai un service à te demander. '' articula-t-elle, le plus naturellement possible.

Il écarquilla ses yeux cernés de fatigue et de charbon.

- '' Tu me… il s’étrangla, un demi-sourire amusé sur les lèvres. Tu me demandes un service ? Wow, ça doit être grave, parce que tu m’as plus habitué aux ordres. ''

Elle leva les yeux au ciel et souffla, tendue. Elle n'était pas d'humeur à plaisanter. Jefferson le remarqua rapidement, et son sourire s'évanouit pour laisser place à une expression inquiète.

- '' Tout va bien ? ''

Elle haussa un sourcil hautain.

- '' Tu as l’air… fatiguée ? ajouta-t-il, certain que ce n’était pas dû à la fatigue. 

- Chéri, cela fait des années que je dors pas. ''

Elle balaya l’air de sa main, indiquant ainsi que la conversation était close. La brise du matin faisait voler ses longs cheveux.

- '' Je veux que tu ailles au village pour moi. ''

Il tourna brusquemment la tête vers elle et resta un moment interdit. 

- '' Pa… Pardon ? '' bégaya-t-il. 

Elle ne prit pas la peine de répéter, sachant pertinement qu'il avait parfaitement entendu. Il la détaillait longuement, cherchant à comprendre si elle se moquait de lui et, surtout les raisons de cette soudaine demande. Mais il ne se heurta qu'à un mur froid et sans expressions. Son coeur s’affolait à mesure qu’il l'observait. Elle fit volte-face, n’arrivant plus à soutenir son regard, et fit mine de repartir au manoir. 

- '' Attends ! ''

Jefferson la rattrapa et lui effleura le bras pour l'arrêter. Elle avait du mal à le regarder dans les yeux - cacher ses intentions était une chose, mentir à une personne qu'elle aimait en était une autre. Il remarqua sa lèvre trembler un court instant, mais décida de se taire à ce propos, et déclara, les sourcils froncés :

- '' Tu m’as dit que je ne pouvais pas sortir d’ici, à cause de la muraille. ''

Son regard, qui pourtant n'accusait Calypso de rien, fit redoubler son sentiment de culpablité. Elle vacilla une seconde, avant de relever la tête, et de rétorquer, maîtrisant sa voix à la perfection pour qu’elle ne tremble pas : 

- '' Je t’ai menti. Tu es libre de sortir. ''

Dark RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant