Chapitre 17

19 4 0
                                    

Jefferson marchait depuis de longues heures déjà. Pas après pas, il traversa le Domaine Oublié et rejoignait doucement la terre qui le menait tout droit au Royaume. Maintes et maintes fois, il s'était arrêté, avait reculé, s'était retourné, regrettant son geste, ses paroles ; pour finalement rebrousser chemin et continuer en direction du château. Son coeur lui demandait quelque chose que son esprit ne pouvait accepter. Il ne pouvait pas concevoir l'idée qu'elle abandonne ainsi des personnes qui avaient tant besoin d'elle. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de voir son joli visage si terne et si vide, son âme brisée, et de se maudire pour ne même pas lui avoir demandé ce qui l'effrayait...

C'est simple : il était perdu. Complètement perdu. Au fil des minutes qui le rapprochaient d'une maison qu'il avait tant redouté, et pourtant, tant espéré revoir, il se raccrochait à une seule pensée, une certitude. Il savait qu'il pouvait toujours compter sur le soutien et la sagesse de la seule personne en qui il avait vraiment confiance : Isallys.

Alors que le soleil commençait tout juste à pointer le bout de ses rayons, Jefferson, ne parvenant pas à penser à Calypso sans qu'une culpabilité immense le ronge, se concentra sur Isallys. Il se força à se souvenir de leur toute première rencontre ; ils ne devaient pas avoir plus de dix ans. Il s'était enfuit, à nouveau, loin des critiques violentes de son père, et c'est sous l'ombre d'un saule pleureur qu'il avait vu pour la première fois le joli minois de cette petite fille qui venait s'installer pour travailler dans son village. Elle avait été la première personne à lui montrer une attention sincère, un amour désintéressé.

Sur le sentier de la forêt, Jefferson esquissa un fin sourire quand il repensa aux nombreuses fois où il avait demandé la direction de cette précieuse amie ; et ses conseils l'avaient toujours mené sur le chemin où il devait marcher. Encore une fois, il venait réclamer son aide, incapable d'agir judicieusement. Alors qu'il repensait à toutes les misères dans lesquelles il avait emmené Isallys, il apperçut les hautes tours du Royaume percer la cimes des pins, et il s'arrêta brusquement. Son ventre se compressa.

Était-il bien certain de vouloir y retourner ?

Mais, après un long moment d'hésitation, il décida de continuer à avancer. Il savait exactement où aller. Connaissant le château mieux que personne - mieux encore que son propre père - grâce à des années d'exploration et d'une mémoire qui ne lui fit pas défaut, il n'eut aucun mal à trouver un passage discret et sûr, loin de l'attention des gardes, qui le mènerait directement jusque dans la chambre de son amie.

Après avoir poussé une porte silencieuse, retenant même sa respiration et les battements de son coeur pour ne faire aucun bruit, il monta nerveusement les marches cachées entre les murs épais du château pour sortit quelques interminables minutes plus tard, par une trappe. Une servante passa, un linge dans les mains ; il retint son souffle et sa cacha derrière une cloison, en priant pour qu'elle ne se retourne pas. Elle marchait d'un pas bien trop lent, et ces quelques secondes semblèrent durer une éternité. Il suffoquait quand elle disparut en s'engouffrant dans un couloir. Mais il ne s'autorisa à respirer calmement qu'une fois la porte de la chambre d'Isallys passée et fermée à clef derrière lui. Son coeur tambourinait contre sa poitrine. Sur le chemin, il s'était imaginé bien des scénarios et des lignes à réciter, mais le soulagement que personne ne l'ait vu et l'angoisse de revoir Isallys lui firent perdre toutes ses idées.

Il se retourna et, à pas de loups, s'avança jusqu'au lit de son amie pour venir s'accroupir devant elle. Sa respiration se coupa à nouveau quand il l'a vit. Cela faisait trois mois - trois mois ! - qu'il ne l'avait pas revu. Et elle était là, couchée, divine dans ses draps blancs ; semblable à un ange, ses cheveux d'or étalés autours d'elle, le visage calme et serein.

Dark RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant