Dark Rose

Chapitre 18

Jefferson avait appris par coeur les passages dissimulés qui reliaient les pièces du château entres elles. Petit, il aimait les parcourir, souvent accompagné d’Isallys ; si bien qu’il n’eût aucun mal à se souvenir des tableaux derrière lesquels s’offrait une petite porte cachée ; les tapis, masquant d’étroites trappes ; les poutres, vitraux, et tout autre chose permettant de découvrir des passages vers les chambres, les cuisines, et même les jardins. 

Suivant le conseil de son amie, Jefferson arpentait les cloisons, suivant un chemin que nul autre ne connaissait, tout droit vers la chambre de son père. Les battements de son coeur rebondissaient sur ses tempes, et il croyait les entendre en écho, retentir sur les murs humides. Des centaines de pensées lui frôlaient l’esprit, sans trouver le temps d’être approfondies. 

Qu'allait-il lui dire, quand il serait devant lui ? Se réveillera-t-il de son sommeil ?  

Et lui, parviendra-t-il à pardonner à son père pour des années de chagrin et de souffrances?

Alors qu'il montait des marches secrètes, il cherchait à mettre des mots sur les sentiments qu’il voulait exprimer, les expressions qu'il voulait lui transmettre - en vain. En proie à la fatigue et à l’angoisse, une violente migraine commençait à compresser son crâne. Il aperçut alors faiblement la vieille porte qui donnait sur le côté droit de la cheminée de la chambre royale. En sentant la chaleur des flammes, il comprit qu’il devrait faire vite s’il ne voulait pas se brûler. C'est donc en toute rapidité et discrétion qu’il rejoignit la chambre de son père. 

Il entendit son souffle rauque, sacadé, difficile et sa gorge se serra. Son ventre noué luttait pour ne pas dégobiller. Un vide sombre et chaud s'installa dans son esprit, chassant toutes les autres pensées, pour ne laisser place qu'aux battements de son coeur affolé. Il ne se rappela pas toutes ces fois où il avait fui son père, où il avait préféré partir, s'en aller, aussi loin que possible de cet être infernal ; sans jamais tenté, même pas une seule fois, dans un calme mature, de parler, de comprendre, de pardonner. Il s’en voulut profondèment de n’avoir jamais trouvé le courage de saisir les sentiments de son père, ni d’être arrivé à cerner les siens ; et se culpabilisa d’avoir attendu si longtemps - vingt-trois longues années - avant de faire le premier pas pour se réconcilier avec son père, la seule personne qu'il ne pourrait jamais remplacé. 

En s’approchant du lit, son coeur loupa un battement en le voyant, le visage, gris, pâle, morbide, ridé d’éraflures et d’échymoses, rayé de cicatrices ouvertes, pourries, laissant clairement apparaître sa chair et son sang. 

Son corps lui ordonnnait de partir, de repousser cet instant de vérité, pour ne pas avoir à affronter les révélations qui suivraient. Mais il ne voulait pas partir. Il était temps d'arrêter de fuir.

Alors, il s’agenouilla, à la tête de son père, la bouche entrouverte, tentant de percevoir les faibles battements de son coeur, craignant chaque seconde de voir les minutes emportait son dernier souffle.

Soudain, tandis que Jefferson l'observait sans oser le réveiller, la respiration de Stephen s'accéléra très légèrement. Il ouvrit des yeux fébriles, des iris translucides qui ne voyaient presque plus rien. Un filet de sang glissa de sa bouche sèche, et il aurait été pris d’une quinte de toux si la stupeur de voir qui était là ne l’avait pas coupé dans son élan. 

- '' Jef… J… ? ''

Il tenta d’articuler d’une voix faiblarde le nom de son fils, sans y parvenir pleinement. Prit de pitié, Jefferson lui glissa un oreiller dans le dos et l'aida quand il voulut se redresser.  

- '' C’est moi, père… ''

Il laissa sa main sur l'épaule du roi presque aveugle pour la conforter dans l'idée qu'il n'était pas qu'une de ses illusions - Isallys l'ayant prévenu qu'il avait parfois des moments de folie. Stephen voulut le toucher, mais il ne trouva pas la force de lever ne serait-ce qu'un doigt. Il toussa, puis essaya d'articuler :