La horde avait poussé Calypso le long du couloir humide de la prison, et elle était passée devant les cellules. Certaines étaient vides ; d'autres, non. Un vieil ivrogne pitoyable à la peau foncée pleurant et implorant n'avait pas daigné relever le regard pour voir la nouvelle prisonnière. Mais cette curiosité avait intrigué une jeune femme sale, couverte de charbon et de paille séchée, qui s'était passée la langue sur ses lèvres bleutées par le froid à sa vue ; un homme sans cheveux ni yeux, qui chantonnait déjà une berceuse morbide, et avait affiché une mine dégoutée en voyant le visage de Calypso ; et même un enfant, qui l'avait assassiné de ses yeux rouges en frappant avec colère les battements de sa cage, si bien qu'elle en eut des sueurs froides. Et tant d'autres encore. Des innocents. Des coupables. Des meurtriers. Des tisserands. Des voyageurs. Des jeunes. Des personnes qui étaient là depuis deux jours. D'autre, depuis deux ans. Mais qu'importait leur âge, leur fonction, ou leur innocence. On les avait déclaré coupable. Et ils seraient tous pendus.
On l'avait forcé jusqu'au fin fond de la prison et mené jusqu'à une pièce étroite et particulièrement étrange, avant de l'enfermer dans une cellule au milieu de l'espace. Un trou exigus dans le mur donnait sur la cour du château, et Calypso avait pu entendre toutes les injures que l'on criait à son sujet.
Alors qu'elle pensait qu'on l'avait jeté dans la pire des cellules puisque cette pièce entourée de mur en pierre emprisonnait cette cage dans laquelle elle était enfermée, un violent sentiment de vide s'empara d'elle. Elle se sentait vide. Elle n'avait plus d'objectifs, plus de but. Plus d'espoir. Et sa mort n'aurait pas plus de sens que celui de sa vie à présent. Elle fut prise de tant de pensées qu'elle ne sut en déchiffrer aucune.
Aucune, sauf une.
Le regard de Jefferson demeurait collé à sa rétine.
Où était-il, en ce moment ? Dans cette foule, en train d'implorer sa mort ? Avait-il retrouver son père ?
Elle était si désorientée qu'elle ne pouvait plus réfléchir sagement. La boule de haine tiraillait toujours son ventre, mais elle ne pourrait dire si cette colère était destinée à Jefferson, pour être partie si brutalement, ou à elle, pour être incapable d'agir raisonnablement quand il s'agissait de lui. Peut-être un peu des deux. Dans l'espoir de s'enfuir de ce flot de pensées tumultueuses, elle agrippa vivement les barreaux de sa cage.
Sa cage...
Comme on y enferme les bêtes. Les monstres. Après tout, sa place était peut-être ici. Au fond d'un trou. Enchaînée. Dans une cage.
Ou peut-être au bout d'une corde.
Finalement, elle se dit que sa haine lui était destinée, à elle-même. Pour avoir succombé à la Bête. Pour avoir été incapable de se libérer de son emprise, toutes ces fois où elle avait eu la possibilité de le faire. Juste parce qu'elle avait peur. Peur de ces responsabilités à endosser si elle acceptait de redevenir celle qu'elle était avant. Elle, la princesse Calypso.
Et pourtant...
Elle baissa la tête, fuyant le regard invisible de son esprit accusateur.
Et pourtant, l'espace d'un instant, elle avait osé s'imaginer Souveraine. Sur le trône, là où son père avait toujours voulu que soit sa place. Et aux côtés de Jefferson, indéniablement. Elle se demanda si les choses étaient plus simples quand il était avec elle, ou si tout semblait juste plus intéressant lorsqu'il était là.
Avant de subir la courte descente aux enfers qu'elle s'apprêtait à vivre, avant d'être traînée, humiliée, frappée, puis pendue, elle s'autorisa une dernière fois à penser à Jefferson, se rappelant les contours de son visage, de son nez droit. La profondeur de ses yeux glacés, la chaleur de sa main, le calme de sa voix. Étrangement, sa voix était quelque chose qu'elle appréciait particulièrement chez lui. Son timbre posé et fringant ; son ton prenant, attirant, confiant. Elle pouvait presque l'entendre articuler son nom.

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Dark Rose
FantasiIl était une fois, dans un royaume appelé Génésis, une Bête, condamnée à rester le monstre qu'elle était devenue. Mais un jour, le roi de Génésis - l'homme qui l'avait maudite - lui demanda un service. Pour enfin tenir sa vengeance contre celui qui...