Chapitre 15

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Les longs cheveux de Calypso volaient au rythme de leur valse effrénée. Jefferson transpercait son regard émeraude, tentant de voir au plus profond de son âme, découvrir quels secrets cachaient ses yeux magnifiques. Au fil des secondes, il s'aperçut qu'elle changeait. Calypso changeait physiquement. Ses traits s'affinaient, ses cheveux devenaient noirs comme les ailes des corbeaux et s'allongeaient encore et encore jusqu'au creux de ses reins. Plus flagrant encore, sa peau verdâtre commençait à se flouter, laissant entrevoir des parcelles de teint aussi blanc que la neige. 

Consciente de ses transformations, elle dévia ses yeux de ceux de Jefferson pour fixer un point invisible derrière lui, et se rapprocha suffisamment de lui pour qu'il ne puisse voir plus rien d'autre que le haut de son crâne. 

Elle inspira profondément. 

- '' Avant… ''

Elle se tut pour maîtriser les tremblements de sa voix avant de reprendre.

- '' Avant, j'étais une princesse. La fille unique d'un roi aimé qui gouvernait un magnifique Royaume. ''

Elle chuchottait à l'oreille de Jefferson, pas par peur d'être entendue, mais parce qu'elle ne trouvait pas le courage d'avouer plus fort.

- '' Je n'ai jamais connu ma mère. Elle est morte à ma naissance. Alors, c'est mon père qui m'a élevé. Lui et moi étions très proches. ''

Elle se tendit, et serra malgré elle plus fort la main de Jefferson. 

- '' Mais un jour… tout a changé. ''

Jefferson sentit son corps se crisper et son souffle s'accélérer. Il ne dit rien, attendant patiemment que Calypso trouve le bon moment pour continuer. 

- '' J'avais revu un vieil ami. Un ami d'enfance, qui venait souvent au château lorsque j'étais enfant. Nous avions le même âge. On aimait passer de temps ensemble. Lorsqu'il est revenu, mon père l'a invité, lui ainsi que ses amis. Nous avions grandi. Et il avait beaucoup changé. Il était plus mûr. Plus grand. Plus beau. 

Elle baissa la tête et senti la main de Jefferson sur sa taille se resserrer. Elle poursuivit rapidement.

- '' On était jeunes. On était idiots. Et on se sentait un peu seul. Alors, on s'est rapprochés, et je suis tombée amoureuse de lui. ''

Il remarqua la pointe d'amertume dans sa voix et nota la légère nuance dans sa phrase : seule elle était tombée amoureuse.

- '' C'était une période difficile pour moi. Mon père était occupé. Mes amies étaient toutes parties. Il était devenu mon confident, mon repère, mon meilleur ami. Il est resté longtemps au château, et on s'aimait en cachette. ''

Elle lâcha un rire nerveux, se rendant compte de la légèreté de la chose. Mais elle s'assombrit aussitôt, et un silence pesant s'installa ; même les notes de musique semblaient plus lourdes. 

- '' Mais il ne m'avait jamais aimé. Sa venue au château avait un objectif bien différent… ''

Sa respiration se saccada. Des larmes perlèrent aux coins de ses yeux brillants. Jefferson ralenti doucement leur valse. 

- '' Il nous a dépouillé… Lui, et ses amis. Ils nous avaient volés, et prit tout ce que nous avions. Il avait profité de mon amour pour lui pour connaître les passages secrets, et trouver les clefs qui menaient à nos trésors et nos richesses. ''

Son souffle se coupa. Jefferson sentit les battements de son coeur s'accélérer. 

- '' Cette nuit-là, il nous a tout pris. Il a condamné le Royaume tout entier à une longue période de détresse. Il a volé notre argent, nos vivres, nos réserves… Il a volé notre honneur, saccagé tout ce à quoi nous tenions, tué ceux qui était sous notre responsabilité, ceux que nous avions juré protéger… ''

Sa respiration se coupa.

- '' ... Et il m'a prit ma dignité… ''

Elle vacilla. Jefferson se tendit brusquement.

- '' Il… Il était entré dans ma chambre… Il s'est approché de moi… et… je ne savais pas quoi faire… ''

Des larmes gelées coulaient sur ses joues.

- '' J'ai essayé d'hurler, mais aucun son ne sortait de ma bouche… ''

Elle tremblait de tout son corps. 

- '' J… J'ai voulu me débattre, mais il… il m'empêchait de bouger… ''

Sa voix se cassa. 

- '' Il m'a touché… encore... et encore. J'étais incapable de faire quoi que ce soit… et il m'a… ''

Elle s'effondra. Son corps entier se brisa. Ses jambes frappèrent violemment le sol, mais elle ne ressentit rien. Jefferson s'était affaissé avec elle, adoucissant sa chute, et la serrait contre lui. Elle éclata en sanglots, l'agripant et enfonçant ses doigts dans son dos. Son corps était pris de secousses incessantes. Son coeur venait de vomir des sentiments refoulés depuis si longtemps. Jamais elle n'avait avoué.

Jamais

Elle avait tout gardé pour elle, se sentant effroyablement coupable, certaine que tout était sa faute, et que ce n'était qu'une punition méritée. Elle avait refusé d'avouer, de peur de faire honte à son père, à son rang, à son titre ; de peur de dégoûter les autres, d'être méprisée, haïe ; de peur d'être seule, abandonnée, rejetée. Elle s'était tut, parce qu'elle avait été incapable de réagir, incapable de se défendre, incapable de bouger, incapable d'appeler à l'aide, incapable de se pardonner. Elle s'était haïe, pour avoir été inutile, pour avoir pleuré plutôt que d'avoir continuer à se débattre, pour avoir menti à son père, indigne d'être aidée, d'être écoutée, d'être soignée, indigne de se rétablir. 

- '' Calypso… ''

Jefferson lui caressait les cheveux et la serrait plus fort contre lui. Il ressentait sa douleur, sa colère. Pour la première fois de sa vie, il se retrouva muet, parce qu'aucun mot ne peut traduire une telle souffrance, et aucun mot ne pourrait exprimer avec précision la peine qu'il avait pour elle. Il se mordit la lèvre parce qu'il aurait voulu lui dire quelque chose, apaiser son chagrin, bander ses blessures, la réconforter, lui dire que tout irait mieux, mais il ne pouvait pas car il savait que rien n'était suffisamment fort pour le dire. Il regarda ses frêles épaules s'affaisser, enfin libérées de ce fardeau, ce silence, qu'elle avait porté pendant tout ce temps, et qui l'avait écrasé. Ce poids, que personne n'avait pu comprendre, et qui l'avait privé du soutien qu'elle méritait. 

Au bout d'un long moment, les tremblements de Calypso se calmèrent. La chaleur de Jefferson l'enveloppait et elle se rendit compte qu'elle devait lui faire mal à le griffer comme elle le faisait. Ne trouvant pas le courage de s'éloigner de lui, elle susurra, d'une voix faible :

- '' Je devais me taire, Jefferson… Personne ne devait savoir… ''

Elle souffla qu'elle devait oublier et se cacher, mais que cela l'avait rendu mourante et que, au seuil de sa mort, son père, désespéré, avait fait appel à un fourbe homme qui la guérit, en la transformant en Bête, offrant ainsi à Jefferson les dernières pièces du puzzle. 

Quand il comprit, il se crispa et se détacha immédiatement de l'étreinte qu'il partageait avec elle. Quand il la vit, il eut un mouvement de recul- pas de peur, mais de surprise. Elle était redevenu elle-même.

Sa beauté le frappa. Ses cheveux ébènes, son teint de porcelaine, ses yeux émeraudes, ses lèvres rouge sang. Il avait déjà vu ce visage.

Elle ressemblait tellement à sa mère…

- '' T… tu es… '' bafouilla-t-il, n'osant pas terminer sa phrase. 

Calypso plaça ses mains devant ses yeux. Elles étaient redevenus pures comme avant. Elle s'était libérée de la Bête. Et plus jamais elle ne voulait la faire ressurgir. Alors, elle aquiesca, reprenant enfin le contrôle de sa vie. 

- '' Je suis la fille du roi Henry. ''

Dark RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant