Chapitre 10

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Jefferson dévalait rapidement les chemins jusqu’au village. Jamais il ne se serait douté de la beauté cachée du Domaine Oublié. Les épines des pins reflétaient les rayons du soleil, les hautes herbes séparaient le chemin de graviers de l'épaisse forêt, et même les oiseaux d'ici semblaient chanter d'un son plus doux. Il se demanda pourquoi un si joli endroit était si peu peuplé. Il est vrai que le sixième Domaine était séparé des autres par la mer, mais le cinquième Domaine, l'Archipel, était également une île, et pourtant son isolement n'avait pas fait de lui un lieu presque désert ; au contraire, c'était l'un des Domaines les plus prisés de Génésis. La Contrée était séparée en sept parties : six Domaines - dans l'ordre : Les Sommets, Labyrinthus, le Désert de Poussières, les Ondines, l’Archipel et enfin, l’Oublié - et le territoire du Royaume. Chaque territoire avait ses propres caractéristiques ; Labyrinthus était principalement un territoire d’épaisse forêt, alors que les Ondines était rempli de lacs, fleuves et cours d’eau. Jamais Jefferson ne s’était rendu dans la Domaine Oublié, mais il se surprit à voir que cette partie de Génésis avait un charme qu’il n’avait jamais vu - charme qui se répandait jusqu’à ces arbres si particuliers. 

Il arriva au village. Il prit le temps de s’émerveiller devant les vieilles bâtisses de pierre emprisonnées de lierre et de petites fleurs bleues et jaunes. Les gens s’activaient ; l’odeur du pain chaud vint lui caresser les narines et il se fit violence pour ne pas dépenser l’argent de Calypso en s’en offrant un. Il apperçut des enfants jouer, des chiens aboyer. Les femmes étendaient le linge, d’autres discutaient entre elles. On marchandait, on se promenait, on disputait les enfants dissipés. Certains échangeaient même d’étranges bibelots : une petite horloge de bois, un miroir abîmé, un flocon de neige en mousse, une tasse ébréchée. 

C’était la première fois qu’il voyait un village aussi animé. Un jeune garçon lui était passé devant en manquant de le faire tomber, et un imposant bonhomme lui avait même marché sur le pied. Les commerçants lui proposaient d’acheter leurs marchandises ; il refusait poliemment en souriant et continuait son chemin.

Après avoir lentement fait le tour du village en prenant soin d’observer et de graver dans son esprit les plus belles images, il acheta les pommes que Calypso lui avait demandé, puis salua la jolie vendeuse avant de revenir sur ses pas. Alors qu’il approchait de la sortie du village, il vit arriver un vieux et pauvre marchand, à la barbe grise et à l’aspect répugnant. Il portait une cagette en bois où étaient déposées de magnifiques roses noires, longues, ténébreuses et splendides. Des roses qu’il aurait reconnu entre mille. 

Il l’interpella.

- '' Hé ! Où as-tu eu ces roses ? ''

Le vieil homme le regarda avec méfiance et eut un mouvement de recul.

- '' En quoi ça te concerne, gamin ? ''

Jefferson parla sans réfléchir. 

- '' Ce sont les roses de mon père... ''

Il se rendit compte de ce qu’il avait laissé échapper uniquement lorsque le vieil homme éclata d’un rire mauvais, dévoilant des dents sales, ou inexistantes. Sarcastique, il se mit à tordre son corps endolori en une révérence disgracieuse et exagérée. Il articula avec application : 

- '' Aurais-je l’immense plaisir de rencontrer le fils du roi ? ''

Jefferson parcourut furtivement les alentours afin de vérifier que personne ne pouvait les entendre, et vint ajuster sa capuche. Il l’aurait volontier injurié, mais se retint. En compagnie de Calypso, il avait appris - à ses dépends - la patience. 

- '' Non, bien sûr, je ne suis pas le fils du roi, grommela-t-il après un court silence. 

- Alors, dégage de mon chemin, gamin. ''

Dark RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant