Chapitre 21

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Isallys et Jefferson se précipitèrent en-dehors du château, vers la forêt. Jefferson avait passé toute une nuit pour rejoindre le Royaume, et il faudrait bien toute la journée pour regagner le Domaine Oublié. Cependant, ils ignoraient que Stephen avait été plus malin qu'eux. 

C'est lui qui avait fait construire le manoir de Calypso ; il connaissait donc bien mieux qu'elle les secrets que renfermaient cette bâtisse. Et, elle l'ignorait, mais le puit de son jardin cachait un portail enchanté. Le deuxième - puisque ce genre de portail ne fonctionnent qu'à deux - était dissimulé dans une grotte, au beau milieu de la forêt, et permettrait ainsi de rejoindre le manoir et de revenir avec Calypso en seulement quelques minutes. C'était là que les gardes s'étaient rendus.

Mais alors que Jefferson et Isallys continuaient leur course affolée, ils s’arrêtèrent brutallement et se cachèrent rapidement derrière des fougères quand ils virent un garde surveiller les horizons, la tête haute. Après avoir coupé leur respiration de peur d'être entendu, Isallys désigna du menton d'autre soldats qui patientaient devant l'entrée d'un semblant de grotte. Jefferson fronça les sourcils et souffla un "Mais qu'est-ce qu'ils font là ?" presque inaudible. Son amie lui répondit par un haussement d’épaule, sans quitter des yeux les soldats qui semblaient s'agiter et se précipiter désromais à l'intérieur de la grotte. On entendit alors des bruits, des craquements. Des cris. Des injures.

- '' Allez, avance ! 

- Dépêche-toi, sale monstre ! ''

Et, parmi toute les têtes coiffées du casque de garde, une triste tête brûne ressortait. 

Calypso

Son visage était saccagé. Son corps tremblait et sa démarche était maladroite. Elle était plus petite que la plupart des soldats, mais on ne voyait qu'elle. Elle, le menton relevé, ses vêtements baignés de poussières et de suie, ses yeux sans vie fixés sur l'horizon. Elle, l'air invincible, n'ayant honte de rien ni de personne, le sang rouge écarlate de son visage rabaissant les tuniques carmins des pauvres petits soldats qui l'emmenaient. Elle, la créature qu'il avait détesté. La femme qu'il avait appris à comprendre. La princesse, qu'il avait appris à aimer. L'âme brisée qu'il avait abandonné. 

Une rage froide lui compressa la poitrine et il dut user de toute sa maîtrise pour ne pas faire regretter les gardes de s'en être prit ainsi à elle. La main chaleureuse d'Isallys vint se poser sur son bras pour l'inciter à ne pas bouger pour le moment, mais son regard glacial fixait les hommes qui s'éloignaient peu à peu, emportant Calypso avec eux. 

Lorsqu'elle la vit, Isallys prit soin de cacher sa surprise concernant le physique de celle qui avait su conquérir le coeur de son ami, mais, finalement, se dit que les apparences sont souvent trompeuses. 

Une fois à bonne distance, ils suivirent silencieusement les gardes et rejoingnirent le Royaume par un chemin abandonné et caché. Mais aucun ne pouvait ignorait l'agitation étrange de milliers de personnes que l'on pouvait entendre dans la cour du château. Et si Isallys tentait de se persuader que cette subite foule s'était réunie pour le retour à la vie de leur roi, Jefferson savait pertinemment que toute cette mascarade scellerait le sort de Calypso. Des cris retentirent et lui glacèrent le sang. Une voix grave surplombait les autres, et chacune des phrases que l'homme hurlait était suivie de puissantes exclamations. Jefferson reconnaissait la voix de son fou de père qui prenait un malin plaisir à titiller la foule. Une nausée le prit quand il se demanda la réaction de ces mêmes personnes s'ils découvraient que le monstre qu'ils haïssaient n'était nul autre que la princesse disparue qu'ils aimaient tant. 

Les gardes et Calypso passèrent par derrière, loin de l'agitation, et descendirent dans un long souterrain sombre sous les fondations du château. Jefferson leur fut presque reconnaissant pour les avoir éloigné des cris haineux de la cour. Mais savoir que Calypso les avait également entendu lui brisa le coeur. Lui et Isallys longeaient le mur froid en prenant soin de ne faire aucun bruit tout en restant suffisamment loin des soldats devant eux. Un cliqueti retentit ; le son aiguë d'une clef qui s'enfonce dans une vieille serrure perça le silence. Et ils s'enfoncèrent, imitant la horde, dans les entrailles de la prison.

C'était la première fois que Jefferson entrait dans la prison, et même s'il ne s'attendait pas à une partie de plaisir, il avait été loin de se douter d'une telle atmosphère macabre. Il avait l'impression de pénétrer un cimetière. Des rats crasseux se battaient en feulant pour garder un os sec et brisé. On voyait à l'oeil nu d'horribles et énormes bestioles escalader les murs de pierre humides, et Isallys se retint de pousser un cri à la vue d'une araignées velue qui semblaient la fixer. Ils croisèrent le regard de quelques detenus, en se contenant pour ne se carapater quand ils leur souriaient. Mais pire que tout, l'odeur immonde du sang séché, des excréments et de la transpiration innondait le long couloir sombre ; et Jefferson aurait vomi si on lui en avait laissé le temps. 

Les soldats s'arrêtèrent brusquement et ouvrirent une lourde porte, avant de gifler, puis pousser violemment Calypso à l'intérieur de la cellule insalubre. Isallys et Jefferson eurent tout juste le temps de s'enfoncer dans un recoin sans lumière avant que les soldats se retournent pour quitter cet endroit infecte. 

On avait enfermé l'héritière légitime du trône comme on enferme les assassins. 

Et, en entendant les hurlements de la foule qui retentissaient contre les parois de la prison, il était certain qu'elle aurait le même sort qu'eux.

La pendaison. 

Dark RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant