Chapitre 13

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Jefferson regardait Calypso étrangement, le visage intrigué embué de fatigue. Sa voix se brisa.

- '' Quoi ? ''

Elle ne cilla pas, le regard perdu dans le vide et les remords.

- '' Ton père et moi avions un accord. Je lui ai donné ce qu'il voulait sur le moment et en échange, je t'emmenais avec moi, arrachant en même temps la place que tu avais dans son coeur. ''

Une force invisible sembla compresser l'estomac et le coeur de Jefferson, qui n'osait pas détourner les yeux. Son esprit refusait constamment les révélations que lui faisaient Calypso. Ce ne pouvait pas être possible. Il n'avait aucune place dans le coeur de son père.

Elle risqua un regard dans sa direction ; l'incompréhension peignait sa mine incrédule. Elle souffla  : 

- '' Allons, ne sais-tu donc pas qu'on en vient à détester les personnes que l'on admire ? ''

À ces mots, Jefferson se releva brusquement, observé par le regard surpris de Calypso qui se demanda ce qui lui prenait. Il resta figé, bouleversé par le flot de ses pensées, noyé entre ses sentiments contradictoires. Des centaines de questions l'abattirent. Tout ce temps, ces longues années de souffrance et de chagrin, passé à se haïr mutuellement, à se détruire ; jamais il n'avait imaginé que la colère que son père lui portait était dûe à une admiration cachée - et il ne parvenait pas à le croire ni à l'accepter. Il se mit alors à le maudire, pour les douleurs qu'il avait infligé, à lui-même autant qu'à son fils, puis à se maudire, pour avoir été incapable de comprendre les sentiments de son père. Le soulagement, l'angoisse, la honte, le désarroi, le submergèrent.

Calypso le dévisagea, et, inquiétée de voir ses yeux perdre leur éclat et leur vitalité, s'avança pour le rejoindre. À peine était-elle face à lui qu'il se mit à marcher vers la porte, si étrangement que l'on eût crut un pantin dirigé par son marionnettiste. 

Elle l'appela, mais il ne l'entendait presque pas, ses paroles résonnaient et se faisaient écho jusqu'à l'assourdir, pour finir par se perdre et se noyer. Elle le rejoignit pour lui attraper le bras, mais sa main n'eut pas le temps de le frôler. Il recula violemment, s'arrachant à toute tentative de contact. Ses yeux blancs, glacés, transpercèrent la pièce. Son geste et son regard étaient lourd de sens. Signifiant, on ne peut plus clairement : ne me touche pas.

Et il partit, laissant Calypso seule et choquée, prisonnière du froid que laissait son silence. Pendant un long moment, elle demeura figée. De glace. Sa mémoire rejouaient indéfiniment les dernières minutes, claquant ses rétines du regard menaçant de Jefferson. Elle semblaient entendre sa voix la frapper des mêmes incessants mots : 

Ne me touche pas. Ne me touche pas. Ne me touche pas.

Jamais - jamais ! - elle ne lui aurait fait du mal. Ses ongles vinrent frotter son cuir chevelu.

Elle savait ce qu'elle devait faire. Elle le savait parce qu'elle reconnaissait les sentiments qu'elle avait pour lui. 

Elle se tira les cheveux. 

Il ne doit pas rester ici. Pas avec moi. 

Il devait partir. Fuir. Loin d'elle. Retrouver son père, son amie. Être heureux. Il méritait d'être heureux. 

Oui, elle savait pertinemment ce qu'elle devait faire. 

Jefferson, je t'aime. Et pour cela, je dois te laisser partir. 

Lorsqu'elle passa le seuil de la porte, elle ne remarqua pas que ses yeux étaient redevenus verts. 

*

La journée s'était écoulée et la douceur du soir commençait à chasser la chaleur de l'après-midi. Calypso cherchait Jefferson, mais il semblait avoir disparu. Elle avait fait le tour de son manoir plusieurs fois, était allée dans les recoins qu'il aimait particulièrement, mais impossible de le retrouver. Son coeur lui sussurrait qu'il était parti, et elle tenta de se persuader que c'était mieux ainsi. Déçue, elle regarda une dernière fois l'épaisse forêt qui dissimulait sa demeure. Elle ne pouvait pas le blâmer pour être parti, mais elle ne pouvait pas non plus se cacher qu'elle aurait aimé une dernière discussion avec lui. 

Elle souffla, pensa que sa vie était bien plus simple avant qu'elle ne croise le regard envoûtant de Jefferson, et resta un instant le nez en l'air à observer les étoiles qui brillaient déjà dans le ciel. Elle se dit que ces points lumineux ne pouvaient autre que des pleurs, puisqu'il n'y a rien de plus beau ni rien de plus sombre ; et elle s'empressa d'essuyer les miliers d'étoiles qui coulaient sur ses joues. 

Alors qu'elle faisait volte-face pour rentrer chez elle, la lumière tombante du soleil éclaira la cape et la sacoche que Jefferson avait laissé là. Elle les avait complètement oublié. Le regard triste, elle prit le tout pour les déposer sur la table et, alors qu'elle prit la cape pour la ranger, découvrit ce qu'elle cachait. 

La rose noire.

Celle que Jefferson avait ramené. 

Son coeur se froissa. 

Pour moi.

Elle l'a fixa en silence, de peur qu'elle ne s'évapore comme un mauvais rêve si elle oser la toucher. Paralysée, elle contempla les somptueux pétales noirs. Jamais elle n'en avait vu des pareil. Oui, elle avait parfois apperçut des fleurs similaires, mais celle-ci avait quelque chose de particulier. Dans son élégance, dans le tranchant de ses épines, dans la douceur de son parfum, légèrement citronné. 

- '' Elle est belle, pas vrai ? ''

Une voix la sortit de sa transe. Elle releva le regard en sursautant, et s’étonna de ne pas avoir remarqué Jefferson approcher. Une vague de soulagement la submergea lorsqu'elle s'aperçut que ses yeux avaient retrouvé leur couleur, et ses épaules s'affaissèrent comme si on lui retirait un énorme poids des épaules. 

Il avait juste besoin d’un peu de temps pour réfléchir. 

Elle resta muette, rapportant son attention sur la rose, aucun mot ne trouvant le courage de franchir ses lèvres : elle n'osa pas lui dire qu'elle était inquiète, qu'elle était désolée, et plus que tout, qu'elle était amoureuse. 

- '' Elle était… hésita-t-elle, pour moi ? ''

Il s’approcha calmement, se pencha pour la prendre en fleurant de sa main le bras dénudé de Calypso, perdue entre le regard froid qu'il arborait ce matin et celui que ses yeux bleus dessinaient maintenant. Malgré elle, elle sentit son coeur s'emballer, et le rouge monter à son visage lorsqu'elle le vit s'approcher, encore et encore, toujours plus près, jusqu'à sentir son souffle sur le bout de son nez, et glisser dans l'étroit espace qui les séparer la rose.

- '' Elle est pour toi. ''

Elle frissonna, et dut se forcer pour regarder la fleur plutôt que le visage si proche de Jefferson. Elle en huma délicatement le parfum, notant que cette rose n'était pas la seule à dégager une odeur qui lui était si agréable, et s'immobilisa de stupeur lorsque, d'un geste fin et d'une douceur désarmante, il vint la glisser dans ses cheveux miraculeusement plus fins et plus long, repoussant en même temps une mèche derrière son oreille. Il s'attarda quelques instants, puis laissa couler ses doigts sur le visage de Calypso. Elle se maudit d'être si ébranlée devant ce geste et réprima le frisson qui lui parcourait l'échine. 

Rappelant le rapprochement qu'ils avaient eu plus tôt, Jefferson laissa le visage de Calypso après une pichenette sur le nez. 

- '' Danse avec moi. ''

Dark RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant