Chapitre 7

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Les jours passèrent. La chaleur de l’été commençait à pointer le bout de son nez sur le Royaume de Génésis, emportant sur son passage les brises fraîches et le plaisir qu’avait Jefferson de regarder la beauté de la lune s’évanouir dans le ciel le matin. 

Calypso et Jefferson avaient, finalement, appris à s’apprivoisier. Au début, il était difficile pour elle de devoir s’adapter à vivre avec quelqu’un d’autre. L’angoisse la submergeait parfois ; la peur, également. La vue de Jefferson lui rappelait constamment ce qu’elle avait fait à Stephen, et plus les jours passaient, plus elle s’en voulait de s’être vengée. Pourquoi ? Parce qu’à chaque fois que Jefferson souriait, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle allait le priver de son père - et même si elle savait quel genre de père il était, personne ne peut nier les liens puissants qui unit un parent à son enfant. Mais après un moment de crainte, à se ronger les ongles en se demandant quand Stephen finirait-il par mourir, et ce qu’elle ferait le moment venu, entourée de bouteille d’alcool pour l’aider à réfléchir - ou à ne plus réfléchir du tout - elle décida qu’elle allait simplement attendre, puisque c’est tout ce qu’elle pouvait faire, puis qu’elle improviserait ensuite. En fait, elle évitait d’y penser car, pour une raison inconnue, cela lui compressait les entrailles. Et cette même douleur apparaissait chaque fois qu'elle voyait Jefferson. 

Lorsqu’elle appercevait son visage dans le reflet des vitres et des miroirs, elle pouvait voir de nouveau ses grands yeux verts, et ses cheveux ressemblaient de plus en plus à ce qu’ils étaient autrefois. Elle n’était pas stupide ; elle voyait bien que l’attachement qu’elle avait développé pour ce jeune prince la faisait redevenir celle qu’elle était avant. Mais par peur de revoir cette princesse qui la dégoûtait, elle avait décidé de limiter les temps passés avec lui - notamment en lui laissant chaque matin une liste de choses à faire, tandis qu’elle partait vaquer à d’autres activités, qui consistaient généralement à transposer son image sur son miroir ou à s’occuper de ses chevaux.

Jefferson, quant à lui, avait appris à apprécier cette liste qui, déjà, l’occupait suffisamment pour ne pas devenir fou à cause de la solitude, et ensuite, lui permettait de découvrir presque chaque jour un nouvel endroit de l’immense manoir. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il n’y avait rien de plus triste qu’une grande maison vide. Et, quand il observait le comportement de Calypso, il ne pouvait même pas lui vouloir d’agir ainsi, alors qu’elle avait toujours été seule.

Souvent, lorsqu’elle utilisait son miroir pour s’en aller, il aimait s’approcher de son corps endormi qui restait sur place ; c’était les seuls moments où il pouvait l’approcher de si près, admirer ses traits fins, ses cheveux qui avaient poussé. Il avait voulu la toucher plusieurs fois, mais s’était retenu par peur de la ‘’réveiller’’ ; il n’avait plus jamais essayé quand elle était revenue alors que sa main touchait presque sa joue et qu’elle l’avait mordu. 

Une fois, alors qu’il était à l’étage du manoir, il l’avait apperçu par une fenêtre, alors qu’elle jouait avec son cheval préféré, Onyx, l’étalon blanc aux crins noirs. Il lui avait attrapé la veste qu’elle portait alors, et elle s’amusait à le poursuivre pour tenter de la récupérer. Jefferson se souvint qu’elle avait sourit ; oui, elle riait. Mais il ne se rappelait pas avoir pensé qu’elle était vraiment belle quand elle souriait. 

Ils ne se voyaient généralement qu'en fin d’après-midi. Une fois, elle était restée toute la journée, à le suivre partout pour regarder comment il s’y prenait pour remplir la liste. Cela avait profondèment agacé Jefferson, et comme Calypso le trouvait adorable lorsqu’il était agacé, elle avait recommencé plusieurs fois. 

Un autre jour, elle lui avait montré la jolie fontaine derrière les écuries, entourée de tulipes colorées, cachée par les feuilles d'un grand saule pleureur. Il avait sourit, d'un sourire enfantin et innocent, quand il eût compris qu'elle savait qu'il aimait l'eau. Presque immédiatement, il y avait plongé - la pudeur n'étant pas son fort. Calypso se rappellera toujours du cri qu'il avait fait lorsque des poissons visqueux s'étaient frottés à ses jambes et du fou rire qui les avaient pris ensuite. Depuis, elle allait parfois le regarder s'amuser dans l'eau ; il attirait constamment les oiseaux qui venaient se poser sur le rebord en pierre de la fontaine. Il leur parlait, à eux, et aux poissons qu'il prenait soin d'éviter, aussi.

Mais ces derniers jours, elle avait remarqué que Jefferson était bien moins joyeux qu’avant. Une aura dépressive tournait sans cesse autour de lui, le privant même de sommeil, si bien qu’il allait souvent rejoindre Calypso - qui ne dormait pas - dans la pièce principale, pour constamment finir par s’endormir peu après l’avoir retrouvé. 

Si, au départ, Jefferson s’était convaincu que sa situation n’était pas éternelle et qu’il pourrait bientôt retrouver Isallys, la solitude commençait sérieusement à lui faire perdre toute envie de vivre. Certes, il appréciait désormais Calypso - et pour être honnête, il rêvait même de rencontrer la femme qui se cachait derrière - et il aimait discuter avec elle ; mais les longues heures qu’il passait seul, quand elle n’était pas avec lui, lui étaient devenues insupportables. 

Calypso avait vu ce changement, et il était de plus en plus dur pour elle de ne rien ressentir lorsqu’elle voyait ses cernes et son visage vide. Alors, elle s’était mise à réfléchir sérieusement : était-il temps de passer à autre chose ? Devait-elle faire définitivement une croix sur sa rancune pour Stephen, et permettre à Jefferson de retrouver les personnes qu’il aimait ?

Ce jour-ci, tôt le matin, elle avait transposé son image au village dans le but de marchander du foin pour ses chevaux. N’ayant pas la tête à faire peur aux ignobles gamins qui traînaient dans les rues, elle s’était cachée sous la capuche de sa longue cape, et parlait avec un vieux paysan pour lui acheter des meules. Mais soudain, elle entendit des chevaux galoper à une vitesse bien suspecte. Rapidement, elle coupa court à la conversation et sa faufila dans une impasse qui ne bénéficiait pas encore de la lumière du soleil, à temps pour voir cinq chevaux blancs lui passaient devant le nez avant de s’arrêter brusquemment sur la place du village et de sonner une trompette au bruit immonde. Elle jeta un coup d’oeil ; avec stupeur, elle découvrit que les cavaliers n’étaient nul autre que les gardes royaux. 

Les soldats du roi ? Au Domaine Oublié ? 

À la tête affolée des villageois, elle comprit qu’elle n’était pas la seule surprise de la présence de ces cinq messagers. 

Le Capitaine de la garde commençait à demander l’attention de tout le monde en déroulant un parchemin. Elle remarqua alors que des exemples similaires avaient été jeté sur le sol. Elle en récupéra un quelques mètres devant elle, avant de filer le plus silencieusement possible. 

Une fois qu’elle jugea être suffisamment loin du village et en sécurité, elle déroula la missive et la lut. 

Son coeur s’arrêta. 

Jefferson ne me le pardonnera jamais. 

Dark RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant